Le mois de juin est traditionnellement une période de soldes en Europe, ainsi que dans d’autres zones du globe terrestre. C’est-à-dire un grand moment de frénésie commerciale. Cette effervescence à mi-chemin du printemps et de l’été, nous la retrouvons avec les grands événements sportifs. Comme le tournoi de Rolland-Garros en tennis, le Tour de France en cyclisme, les Jeux Olympiques de Paris, ou en football, la finale de la Ligue des Champions ou l’Euro 2024, qui s’ouvre cette semaine en Allemagne.
Jean-Guillaume Lozato *
Le Championnat d’Europe des Nations se met en place du point de vue de la logistique, de l’ambiance et des expectatives. A partir du 14 juin, l’Allemagne se lancera dans son organisation. Un pays hôte qui pourra prétendre au titre à domicile. Mais la France et l’Angleterre, finaliste de la précédente édition, campent en embuscade. Avec dans la tranchée voisine un très intéressant Portugal et une Italie tenante du titre difficilement cernable. Et pourquoi pas une ou deux surprise?
Les forces en présence
Pour initier ce tour des prévisions, il est traditionnellement acquis de se reporter aux résultats des deux grandes dernières compétitions. C’est-à-dire la Coupe du Monde et l’Euro.
Au dernier Euro au report chaotique pour cause de coronavirus avancé et dévastateur, l’Italie avait battu l’Angleterre en finale. Au dernier Mondial, la France, paradoxalement plus méritante qu’en 2018, s’était fait enlever sa couronne par l’Argentine, après un parcours plus qu’honorable, bien que terni par un arbitrage douteux en demi-finale face au Maroc (deux penalties auraient pu être sifflés en faveur des Lions de l’Atlas). Cela veut-il dire que nous retrouverons Anglais et Français dans le dernier carré ?
Le réflexe suivant s’apparenterait à la prise en compte du pays organisateur. Il s’agit dans le cas présent de l’Allemagne. Une grande nation du ballon rond, championne continentale à trois reprises, à égalité avec l’Espagne et la France.
Les Espagnols, eux, auront leur mot à dire. Avec un jeu offensif basé sur une relance de Pedri jusqu’à leur pépite du moment : Lamine Yamal.
Toujours au sud de l’Europe, le pari sur le Portugal se présente comme une évidence. Une formation joueuse, à la grande vivacité et à l’adaptabilité tactique incontestable. Son dernier match contre la Finlande a confirmé que même en cas de riposte adverse, les Lusitaniens étaient en mesure d’imposer leur jeu avec des atouts certains.
Pour clore cette rubrique consacrée aux «évidences», évoquons les Pays-Bas avec leur milieu de terrain dense, appuyé sur les côtés par des pivots ou des pistons efficaces, la détermination du Danemark, la vivacité de la Belgique, le potentiel croate avec l’inusable Modric secondé par un très bon Kovaci.
Les possibles défaillances
En priorité, conservons à l’esprit que nous sommes arrivés au terme d’une saison de sport de haut niveau. Donc à un moment très éprouvant de l’année où les protagonistes n’auront eu que très peu de temps consacré à la récupération. Les effectifs seront en grande partie fatigués, d’autant plus que plus le niveau des joueurs est élevé, plus leurs chances d’avoir participé à des échéances importantes jusqu’à la fin d’une saison est grande, à en juger au nombre de participants qui auront été présents dans le dernier carré des trois compétitions européennes au niveau des clubs. Sans compter ceux qui resteront plus ou moins éprouvés mentalement.
Puis sur le plan organisationnel, les schémas tactiques imposeront des consignes qui ne ressembleront pas forcément à celles appliquées en championnat. Combiner les variables d’ajustement stratégiques aux caractéristiques des recrues constituera une équation loin d’être gagnée à l’avance. Certaines équipes nationales reposent sur un équilibre instable, y compris chez les plus fortes. C’est le cas de l’Italie qui repose sur la forme de Donnarumma et l’inspiration de Barella parfois un peu trop décalé. A moins que Dimarco nous gratifie d’une fantaisie insaisissable, suite à un lancement en profondeur de Pellegrini? C’est le cas aussi de l’Angleterre privée de Rashford qui devra prouver qu’elle saura exploiter le talent de Kane et Billingham (qui ne sera pas avec ses coéquipiers du Real Madrid cette fois…), avec l’aide de Palmer pouvant permuter d’une aile à une autre. Si ces deux formations venaient à triompher, ce serait en se reposant sur l’osmose collective et non sur les individualités.
Une autre possible défaillance est-elle imaginable pour la France si on se remémore son élimination par la Suisse au dernier Euro? Pas forcément. Pas absolument impossible non plus. Mbappé vise le Ballon d’Or. Mais l’équipe reposera sur la santé d’Upamecano. Sans lui, et malgré le retour de Kanté, le château de sable risque de prendre l’eau. Et Dembélé doit être mieux encadré par ses coéquipiers à la perte du ballon, eu égard son potentiel dos au but ou en décrochage. De l’autre côté de la frontière, la Belgique n’offre pas non plus toutes les garanties malgré une propension à faire le spectacle.
Les possibles surprises
La Pologne figure en bonne place des prétendantes à bousculer l’ordre établi. Avec un avant-centre de la qualité de Lewandowski, tout est possible. Un autre aspect entre en jeu : le fait de disposer de trois excellents gardiens de but, ce qui est un avantage précieux sur la longueur d’une compétition à partir de laquelle peut surgir une séance de tirs aux buts.
Toujours en Europe de l’Est, la Hongrie apparaît de plus en plus solide, confiante, alors que la Roumanie est revenue lentement mais sûrement. En fait, l’inconnue concerne l’Albanie, la Géorgie (on pense immédiatement à Kvaratskhelia, signalons que son goal Mamardachivili joue quand même à Valence, en championnat espagnol!), la Slovaquie, la Slovénie et l’Ukraine. Si les trois dernières nommées auront certainement plus de difficultés, l’Albanie a progressé et pourrait tout à fait franchir le premier tour et aller jusqu’en quarts à condition de ne pas avoir à gérer une séance de tirs aux buts. En effet, les Albanais semblent plus solides mais moins techniques qu’il y a quelques années.
L’Autriche et la Suisse, elles, ont les moyens de contrecarrer bien des plans. La première nommée avec Baumgardner (pensionnaire de Leipzig, qui avait révélé Thimmo Werner). La seconde grâce à la science du sélectionneur Yakin, qui a insufflé une discipline toutefois trop dépendante de son gardien de but Kobel.
Enfin, la Serbie (avec un gardien sûr, une défense améliorée, un entrejeu protéiforme et un très bon avant Vlahovic de la Juventus) et la Turquie semblent légèrement oubliées par les pronostiqueurs. Grave erreur. Avec ces deux équipes, ça passe ou ça casse, mais souvent dans le spectaculaire.
L’Euro 2024 nous tend la main. Avec pour match d’ouverture un curieux Allemagne-Ecosse. Une affiche qui sera suivie dès le lendemain par un exotique Italie-Albanie. Cette compétition sera-t-elle placée sous le signe de la fantaisie?
L’heure du divertissement a sonné. Avec son cortège d’enthousiasmes, espérons-le sans incivilités chroniques. Avec ses interrogations et ses réponses. Cristiano Ronaldo se présentera-il encore comme indestructible et irremplaçable? Ses coéquipiers Joao Neves et Gonzalo Ramos seront-ils respectivement meilleur passeur ou meilleur buteur? A moins que l’Espagnol Lamine Yamal ne leur vole la vedette en devenant la révélation du tournoi. Mbappé éblouirait-il de nouveau le public, par exemple en inscrivant un but sur corner rentrant? Le Borussia Dortmund, lui, pourra servir l’Allemagne avec une possible explosion du milieu offensif Brandt. Tandis que Scamacca, héros de l’Atalanta Bergame, a les moyens de s’illustrer en surprenant les adversaires par ses positionnements variables. Ce qui nous amène à penser aux entraîneurs italiens. Ils seront au nombre de trois : Spalletti (Italie), Rossi (Hongrie), Montella (Turquie). Une prémonition? Autre prémonition, cette fois par la numérologie : si le 4-3-3 revenait en force? Quatre équipes ont le profil dans ce cas-là, ce sont l’Italie, le Portugal, la Roumanie et la Turquie.
Vous l’aurez compris, rien n’est fait, jamais un Euro de football n’aura été aussi incertain. Un Euro ne préfigure pas toujours une Coupe du monde. L’inverse est aussi vrai.
* Analyste de football.