Euro 2024, stade de Gelsenkirchen, Allemagne, jeudi 20 juin 2024, Groupe G : Espagne et Italie se sont défiés dans un match à analyser aux plans à la fois sportif et culturel. L’Espagne a remporté une autre victoire sur l’un des ténors de sa poule. Cette étape du premier tour la consacre déjà comme faisant partie des épouvantails, voire des favorites.
Jean-Guillaume Lozato *
Ce retour en grâce des Ibères s’est fait à la faveur d’une partie s’apparentant à un duel très disputé. Une opposition fratricide entre deux pays frères sans frontières communes. A partir de l’appartenance à l’aire linguistique latine et au monde méditerranéen, cette fraternité a été mise à l’épreuve de la dure loi du haut niveau.
La nostalgie si chère aux Méditerranéens
Quatre. C’est exactement le nombre de phases officielles pour restituer le ressenti de cette soirée autour du football. Les Euros 2008, 2012 et 2016 sont repassés en cette version du mois de juin 2024. L’Italie a commencé timidement à faire circuler la balle en début de match. Alors que l’Espagne prenait des initiatives plus tranchées. Un round d’observation qui ressemblait à ce qui s’était produit, dans les grandes lignes, lors des huitièmes de finale de l’Euro 2008 gagné par des Ibères alors maîtres du monde (Euro 2008 et 2012 et Mondial 2010 obtenus dans l’admiration générale). Avec une pincée d’Euro 2016 de par les envolées de Gianluigi Donnarumma. Voilà le résumé d’une première mi-temps offrant le spectacle d’une Espagne très entreprenante face à une Italie plus attentiste mais pas totalement dépassée.
La seconde période a juste confirmé que les Hispaniques étaient montés crescendo. Pour finalement défaire les Italiens dépassés, mais plus réactifs après le but espagnol, avec deux tentatives consécutives sur la fin. Les quarante-cinq dernières minutes ont tenu à la fois de la finale de l’Euro 2012 où les Italiques s’étaient vus balayés par les Ibériques (0-4). On a constaté une Espagne à la fois renaissante et innovante, tandis que l’Italie se montrait plus figée, comme passéiste notamment lorsque certains joueurs se sont mis à botter en touche ou à re-pratiquer le marquage individuel comme à l’époque du Catenaccio traditionnel.
Pour clore ce premier aspect général, prenons en compte une attraction par rapport aux autres matchs : le fait que les morphologies des deux équipes du jour diffèrent, de par leur variété de tailles, des autres effectifs nationaux engagés dans la compétition. Ce qui a eu pour effet d’avoir un jeu à terre plus fréquent.
Une grande Espagne
Qualifier la «Roja» d’irrésistible serait prématuré. La pressentir comme une puissance montante ne serait pas une ineptie. On attend avec impatience son dernier match de poule.
L’Espagne s’est montrée sous un jour très positif, impressionnante de talent, de confiance, de justesse. Dans tous les compartiments de jeu. A tel point que détailler tous les exemples étoffant cet argumentaire s’apparenterait à de l’encyclopédisme. Faisons référence, entre autres satisfactions, à la circulation de balle facilitée par la rapidité d’exécution, le replacement et la synchronisation collective; la faculté de frapper dans toutes les positions de l’attaquant Morata; l’incorporation harmonieuse de jeunes comme Williams (spécialité: les débordements) et Yamal (spécialité: les slaloms). Tout ceci a créé le surnombre à plusieurs reprises dont une fois à la 27e minute de jeu, obligeant Barella à un dégagement en catastrophe.
A signaler un nom : le très utile et percutant arrière gauche Cucurella, que l’on pourrait assimiler à d’anciens latéraux tels que l’Espagnol Juanfran ou l’international saoudien Al-Shahrani. C’est-à-dire un profil de joueur de petite taille, sec voire fin, mais très vif et participant à la relance de façon créative.
La Squadra Azzura contemplative
Stoïcisme… La philosophie du groupe coaché par le Toscan Spalletti joue à cache-cache avec le bon sens. Tantôt basé sur une fugacité éclair sur les ailes (quoique sporadiquement…), tantôt statique, voire rigide dans son alignement, le jeu semblait programmé pour se stopper de lui-même juste avant les dix-huit mètres adverses. Pour preuve, les tentatives lointaines précipitées, comme par Chiesa. Aucun n’a été cadré. L’attaquant de l’Atalanta Bergame Scamacca s’est posté plus en sentinelle qu’en véritable remiseur ou avant-centre. Barella a été meilleur dans la construction que dans la perte du ballon. Dimarco s’est débattu.
Vous l’avez compris, cette Squadra Azzurra a un potentiel mais elle a pratiqué un jeu minimaliste, parfois passif. Elle a parfois eu un style très italien, avec quelques gestes techniques de Pellegrini, entre autres étincelles. Elle a parfois eu un peu de l’équipe de France dans sa fébrilité sur les corners, notamment sur son flanc gauche. Elle a parfois eu un peu de la fragilité belge, de la nervosité argentine et de la conservation de balle à la tunisienne faisant appel plus à la lenteur qu’à la rapidité.
Pour la suite de la compétition, visionner ce match pourra être salvateur dans l’optique d’une place dans le dernier carré. La Péninsule Ibérique avait bien enseigné des choses, durant l’Antiquité, à l’Italie alors berceau de l’Empire Romain, Trajan étant carrément né en Espagne. Alors pourquoi pas?
Nous avons assisté à un match dont le niveau était fort. Avec une équipe dominant vraiment l’autre.
L’Espagne, à l’efficacité redoutable, a remporté 1-0 une rencontre contre un pays comptant parmi les plus grandes nations du ballon rond. Elle a su regarder de l’avant. Un changement qui s’est produit grâce à des garçons d’âges divers. L’Italie, elle, devra passer à la vitesse supérieure. Après cet épisode de «dolce vita», la bande entraînée par Spalletti devra affronter l’Albanie. Et si plus tard, la rythmique du flamenco devait de nouveau se mesurer à un nouveau défi technique et rythmique de latinité, en passant de la Méditerranée vers l’Atlantique avec la «Saudade» du Portugal, pour le plus grand plaisir de nos yeux.
Moralité : les Espagnols sont des Italiens rapides, les Italiens sont des Espagnols lents.
* Enseignant universitaire et analyste de football.