La 38ᵉ édition des Journées de l’Entreprise, organisée par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), qui se tient à Sousse du 5 au 7 décembre 2024, sous le thème de «L’Entreprise et les grands changements : adaptation et opportunités», a consacré une session spéciale à un sujet brûlant : l’entrée en vigueur, à partir du 2 février 2025, d’une nouvelle réglementation sur les chèques, bouleversant ainsi les pratiques financières traditionnelles et mettant les PME devant un défi majeur : s’adapter aux changements profonds dans leur environnement économique.
Envoyé spécial à Sousse
Pour aborder cette problématique, une session spéciale intitulée «L’adaptation à la nouvelle réglementation des chèques» a été organisée jeudi soir. Le débat a rassemblé des experts pour expliquer et proposer des solutions concrètes permettant de limiter les impacts négatifs de cette transition.
Une réglementation qui suscite l’inquiétude
Cette réforme impose plusieurs mesures radicales. «L’interdiction des chèques de garantie, une pratique courante pour sécuriser des engagements financiers, constitue un des principaux changements. Cette interdiction, assortie de sanctions pénales pour les contrevenants, crée des tensions chez les entreprises et particuliers, qui se voient contraints de réorganiser leurs modes de paiement», a indiqué le notaire Kamel Ben Mansour.
La Banque centrale de Tunisie (BCT) a par ailleurs introduit l’obligation pour les banques de se connecter à une plateforme numérique centralisée, destinée à gérer les chèques en temps réel. Cette plateforme, qui entrera en fonction à partir de 2 février prochain, permettra de vérifier instantanément la provision et de bloquer les montants nécessaires. Cependant, les banques qui ne s’y conforment pas perdront le droit de délivrer des carnets de chèques, ce qui pourrait exacerber les tensions.
«Ces changements provoquent actuellement un afflux de chèques déposés dans les banques, même avant leur échéance, perturbant les flux de trésorerie et mettant en difficulté de nombreuses entreprises et particuliers… Ce phénomène illustre les craintes généralisées liées à l’impréparation des acteurs économiques à ce bouleversement», a ajouté Ben Mansour.
L’e-banking comme solution…
La session a également permis de mettre en lumière les opportunités offertes par l’e-banking pour faire face à la problématique persistante de la réglementation des chèques et à la faible inclusion financière dans le pays. Dans ce cadre, Bilel Darnaoui, directeur général de Monétique Tunisie, a notamment plaidé en faveur de l’accélération de la digitalisation des services financiers, plaidant ainsi pour sa paroisse. «La transition vers des paiements électroniques est perçue comme une réponse aux défis actuels, mais elle exige un effort collectif pour adapter les infrastructures bancaires et changer les habitudes des usagers», a-t-il souligné.
Parlons chiffres, Darnaoui a précisé qu’en septembre 2024, la Tunisie comptait 6,3 millions de cartes bancaires en circulation, dont 63% actives, et pas moins de 3.287 GAB en évolution de 2,49 par rapport à décembre 2023. Toutefois, ces chiffres masquent des disparités importantes : seulement 5% des entreprises tunisiennes acceptent les paiements électroniques, un chiffre jugé insuffisant compte tenu des 800 000 entreprises enregistrées. Ce faible taux de pénétration s’explique par divers facteurs, notamment un manque d’infrastructures adéquates et une sensibilisation limitée des acteurs économiques.
Malgré ces obstacles, une évolution des comportements des consommateurs est perceptible. «De plus en plus de Tunisiens utilisent leurs cartes bancaires pour des paiements directs chez les commerçants ou sur des plateformes disponibles, au détriment des retraits en espèces. Parallèlement, les transactions effectuées via des wallets électroniques ont connu une croissance impressionnante : entre 2021 et 2022, elles ont été multipliées par dix. Ces chiffres témoignent d’une adhésion progressive, mais encourageante aux outils numériques», a encore expliqué Darnaoui.
Face à ces constats, Monétique Tunisie déploie plusieurs initiatives innovantes pour démocratiser les paiements électroniques. Parmi celles-ci figure le modèle Buy Now, Pay Later (BNPL), permettant aux consommateurs d’étaler leurs paiements sur plusieurs mois. Cette solution vise à attirer une clientèle plus large, tout en répondant à la problématique du pouvoir d’achat.
Autre innovation majeure : le développement du soft POS, une technologie qui transforme les smartphones en terminaux de paiement. Cette approche pourrait réduire les coûts pour les commerçants et encourager davantage d’entreprises à adopter les paiements numériques.
De nombreux défis subsistent
Mais malgré ces avancées, de nombreux défis subsistent. Tout d’abord, une communication ciblée est nécessaire pour sensibiliser à la fois les citoyens et les entreprises aux avantages des paiements électroniques. Ensuite, il est crucial de résoudre les problèmes d’inclusion financière (on est à un taux de 36% seulement) en intégrant les populations non bancarisées dans cette transformation. Enfin, la collaboration entre les différents acteurs – institutions financières, régulateurs et entreprises technologiques – doit être renforcée pour garantir le succès de cette transition.
Pour Bilel Darnaoui, la digitalisation des paiements n’est pas seulement une réponse aux limites des méthodes traditionnelles comme les chèques, elle représente également une opportunité de modernisation du secteur financier et d’amélioration de la compétitivité économique du pays.
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