Les visages des prisonniers libérés sont le miroir impitoyable des valeurs de leurs geôliers. Le contraste frappant entre ceux, alertes, bien nourris et souriants, des otages israéliennes libérées par le Hamas et ceux, tristes et marqués par les mauvais traitements subis, des prisonniers palestiniens libérés par Israël en dit long sur l’humanité et la moralité de leurs geôliers respectifs.
Khemaïs Gharbi *
L’histoire se souvient. Elle grave dans notre mémoire collective les regards hagards, les silhouettes squelettiques et les corps brisés des prisonniers libérés des camps de la Seconde Guerre mondiale. Ces images, prises à la libération des camps nazis il y a 80 ans, hantent encore l’humanité comme un avertissement permanent contre la barbarie. Ces visages racontaient des histoires sans besoin de mots : celles de privations, d’humiliations et de traitements qui défiaient toute humanité. Le monde fut sidéré de constater jusqu’où la déshumanisation avait pu aller.
Il y a quelques jours, nous avons ressenti un soulagement de voir la libération de prisonniers dans un contexte bien différent, mais dont les échos rappellent ce que l’Histoire nous enseigne sur le traitement de l’ennemi. Des prisonniers palestiniens ont été libérés en contrepartie de la libération de soldates israéliennes. Et pourtant, un contraste saisissant a frappé les observateurs : les visages souriants des soldates israéliennes, otages du Hamas pendant quinze mois, leur allure soignée, leurs vêtements impeccables et leur énergie positive semblaient provenir d’un monde différent de celui des prisonniers palestiniens sortis des geôles israéliennes. Ces derniers, hagards, usés, marqués par des épreuves visibles, donnaient l’impression d’avoir été détenus dans des prisons du Moyen Âge.
Un contraste frappant
Le contraste devient encore plus frappant lorsque l’on examine les conditions de détention. Les soldates israéliennes, captives d’un groupe armé non étatique, ont été détenues sous des bombardements quasi quotidiens, dans des conditions épouvantables. Et pourtant, elles ont été protégées par leurs geôliers comme les prunelles de leurs yeux. À l’inverse, les prisonniers palestiniens étaient sous la garde d’un État constitué, bénéficiant de moyens modernes et à l’abri des bombardements. Cette réalité, inexplicable à première vue, interpelle même l’observateur le plus neutre. Que disent ces contrastes sur les valeurs de chaque camp et sur la manière dont l’ennemi est perçu et traité ?
Aujourd’hui, avec les moyens modernes de la télévision et des caméras, ces scènes ne sont plus seulement consignées dans les livres d’histoire : elles se déroulent sous nos yeux. Ces images frappent les consciences : elles révèlent, sans avoir besoin de témoignages, le traitement infligé aux captifs de chaque camp. Les premiers regards des prisonniers libérés parlent plus fort que mille discours. Leur état physique et mental devient un témoignage brut de leur captivité : étaient-ils nourris correctement ? Ont-ils subi des violences ou des humiliations ? Ont-ils été considérés comme des êtres humains ou réduits à de simples symboles de vengeance ?
À travers ces libérations, chaque camp expose une partie de son âme, souvent malgré lui. Les visages des prisonniers libérés témoignent, de manière cruelle mais implacable, des valeurs et de l’humanité — ou de son absence — des geôliers. «Dis-moi comment tu traites ceux que tu détiens, et je te dirai qui tu es». Et dans cet exercice, c’est le Hamas qui montre davantage d’humanité et de morale que l’Etat d’Israël.
Le terreau des crimes à venir
À la sortie des camps de la Seconde Guerre mondiale, l’humanité fut confrontée à l’horreur dans toute sa nudité. Ces scènes d’une brutalité inimaginable furent exposées, non pour humilier davantage, mais pour rappeler que l’oubli est le terreau des crimes à venir. Le peuple allemand, grand et capable de résilience, dut affronter cette mémoire collective, tout comme chaque nation confrontée à ses propres zones d’ombre.
Aujourd’hui encore, nous voyons les fantômes du passé ressurgir dans certains échanges de prisonniers. Les regards hagards, les corps fléchissant ou au contraire, les visages alertes et bien nourris nous rappellent une vérité simple et terrible : le traitement de l’ennemi prisonnier reflète la véritable nature de ses geôliers et des valeurs qu’ils prétendent défendre.
Puissions-nous, à travers ces images, nous regarder en face et comprendre que l’extrême, quel qu’il soit, n’est jamais un chemin vers la grandeur. L’histoire ne pardonne pas, pas plus que la mémoire humaine. Sauvegardons-nous de nous-mêmes, pour que ces horreurs appartiennent un jour définitivement au passé.
* Ecrivain, traducteur.
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