Publié en 2018 en français, Les années prostate (سنوات البروستاتا) de Safi Said est un roman majeur qui, malgré sa qualité et son importance, n’a pas rencontré l’écho qu’il mérite dans le monde francophone.
Djamal Guettala
La traduction de l’œuvre, issue de la version arabe bien plus ancienne, offre enfin aux lecteurs francophones l’opportunité de découvrir une œuvre fondamentale de la littérature arabe contemporaine. Cet article se veut un hommage à Safi Said et à l’importance de sa réflexion politique et humaine, mise à l’honneur dans un livre à la fois audacieux et profondément humain.
Les années prostate n’est pas un essai sur le règne de Zine El Abidine Ben Ali, comme le suggère la couverture trop vendeuse du livre reproduisant une photo de l’ancien dictateur avec son épouse Leila Trabelsi. Ce n’est pas non plus un simple roman politique inspiré par le parcours de ce couple qui n’a pas laissé de bons souvenirs chez les Tunisiens.
À travers le personnage de Nooman, un président fictif, Safi Said explore les dimensions les plus sombres du pouvoir tout en creusant des questions intimes et philosophiques sur la vie humaine.
Le récit s’ouvre sur l’assassinat du président par sa servante, événement qui plonge le lecteur dans une réflexion sur la politique tunisienne et les rapports de pouvoir. Ce meurtre marque le début d’une exploration posthume où Nooman, dans l’au-delà, retrouve sa première femme, morte cinq ans plus tôt. Ce face-à-face avec le passé permet à l’auteur de brosser un tableau acerbe de la condition humaine, en particulier dans le cadre politique de la Tunisie.
Entre politique et introspection
À travers ce roman, Said mêle habilement politique et introspection, nous offrant une lecture où les luttes internes des personnages résonnent avec les dérives du pouvoir. Un portrait poignant de la fragilité humaine, qui dépasse les frontières de la Tunisie pour toucher à des questions universelles.
Bien que la version originale en arabe soit antérieure à la traduction française, il aura fallu attendre 2018 pour que Les années prostate trouve sa place dans le monde littéraire francophone. Cette traduction, réalisée par Walid Maali et publiée aux Éditions L’Harmattan, permet enfin au public francophone d’accéder à cette voix arabe singulière, longtemps restée dans l’ombre.
Loin de n’être qu’un texte politique, le roman est aussi un témoignage intime sur les faiblesses humaines, l’amour, la trahison et la quête de sens. En le traduisant, l’œuvre de Safi Said prend toute son ampleur dans un contexte littéraire international, offrant une perspective nouvelle sur la société tunisienne et ses enjeux.
Une œuvre à redécouvrir
Cet article est un appel à redécouvrir Les années prostate, une œuvre marquante mais trop souvent oubliée du grand public. En donnant à ce roman la place qu’il mérite dans le monde francophone, on rend hommage à un auteur dont la pensée critique et humaniste est plus que jamais d’actualité. La traduction de ce livre offre aux lecteurs une chance de découvrir une vision riche et nuancée de la Tunisie post-révolutionnaire, tout en introduisant des thèmes universels sur la nature humaine et les dérives du pouvoir.
À travers cet hommage tardif, nous nous réjouissons de voir enfin Safi Said trouver la reconnaissance qu’il mérite au sein de la littérature francophone. Une lecture indispensable pour ceux qui souhaitent comprendre les dynamiques politiques et culturelles du monde arabe contemporain.
Donnez votre avis