Le président Kaïs Saïed multiplie les décisions et les rencontres avec les décideurs en charge des politiques économiques et monétaires. Après le remplacement inattendu de la ministre des Finances, les rencontres avec le gouverneur de la Banque centrale se suivent et se ressemblent. Des rencontres inquiétantes pour les investisseurs et les opérateurs économiques en Tunisie.
Moktar Lamari *
![](http://kapitalis.com/tunisie/wp-content/uploads/2019/10/Moktar-Lamari.jpg)
Cinq sources d’inquiétudes sont palpables :
1- Le remplacement en pleine nuit de la ministre des Finances, il y a plus d’une semaine, n’est toujours pas justifié, ni expliqué au public. Est-ce pour faute déontologique? Est-ce pour des défaillances professionnelles? Est-ce pour compromis compromettant? Aucune réponse n’est donnée et ici, les rumeurs remplacent le vide informationnel à cet effet!
2- La BCT ne change rien à son taux directeur malgré le recul du taux d’inflation, mais appelle de ses vœux la trentaine de banques à baisser leur taux d’intérêt. Le message est certes dissonant et pas à peu près! La BCT est comme entre le marteau et l’enclume. On ne veut pas déplaire aux consignes du président, mais on ne veut pas, non plus, faire mal aux profits vertigineux qu’accumulent les banques sur le compte de l’économie dans son ensemble.
3- La Tunisie vient de rembourser depuis le début janvier presque 1,2 milliard de $, en Eurobonds et autres prêts dus. Cela constitue un exploit, mais on ne dit pas à quoi a servi ce montant, contracté depuis 2015 à un taux d’intérêt usuraire. L’audit de la dette publique en Tunisie reste tabou. Pourtant on a promis aux Tunisiens qu’on va tout leur dire sur ces sommes faramineuses empruntées à l’international à des taux exorbitants.
4- En recevant, avant-hier, le gouverneur de la Banque centrale, Dr Fethi Zouhair Nouri, le président Kaïs Saïed salue le principe de l’«autonomie» de la Tunisie dans le remboursement de sa dette, mais occulte totalement l’effet d’éviction de ces remboursements sur l’investissement et la relance d’une économie qui n’arrive pas à se relever de la décennie noire, dominée par les intégristes musulmans et leurs mal-gouvernance économique.
5- En parallèle, les média et les économistes du sérail remâchent le même discours, ignorant le recul de l’épargne. Le taux d’épargne ne constitue plus que 3-4% du PIB, après avoir été supérieur à 20%, dans les années précédant la «Révolution du Jasmin». Les économistes du sérail ne veulent pas faire un lien entre taux d’intérêt, taux d’investissement et taux d’épargne. La trilogie d’enfer…
Ceci explique cela! Mais, comme si tous les économistes du sérail tournent autour du pot, évitent les sujets qui fâchent. Ils se protègent contre les risques de s’écarter des éléments de langages officiels. Et en subir les conséquences…
Les investisseurs ne sont pas naïfs, et les bailleurs de fonds internationaux, avec le FMI en tête, sont aux aguets. Ils comptent tout, chiffres à l’appui. Ils ne se croient pas trop aux contes, ils aiment fonctionner avec les comptes et tout ce qui se comptent.
La théorie macroéconomique nous apprend que l’anticipation rationnelle remplace désormais l’anticipation adaptative… et naïve!
* Economiste universitaire.
Blog de l’auteur : Economics for Tunisia, E4T.
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