Des montagnes de l’Aurès aux rives de la Méditerranée, là où les vents murmurent encore l’histoire, une poupée de huit centimètres rallume la flamme d’un patrimoine millénaire. Son nom : R’mila. Sa mission : porter haut les couleurs de la culture chaouie, avec ses étoffes, ses symboles et sa mémoire. Et désormais, elle s’apprête à franchir une nouvelle frontière : elle débarque bientôt à Tunis. Vidéo.
Djamal Guettala
C’est dans l’intimité de son foyer que Hayet Messaouda Bouali, enseignante retraitée et militante culturelle, donne vie à R’mila. Ce petit personnage, vêtu de la Thimlḥafth, la melhfa traditionnelle chaouie, est bien plus qu’un jouet. C’est le fruit d’une vie de transmission, de fierté et de résistance.
«J’ai toujours porté le Lhaf chaoui, même en classe», confie-t-elle. Et d’ajouter : «Mes élèves me voyaient comme une ambassadrice silencieuse de cette tenue ancestrale. À ma retraite, j’ai eu peur que ce fil se rompe. Alors j’ai créé R’mila.» Un acte d’amour pour sa culture, né au moment où d’autres tournent la page.
Tissus précieux, gestes méticuleux
Chaque poupée demande plusieurs heures de travail, de la couture minutieuse aux détails symboliques : ceintures, broderies, accessoires… Tout est pensé pour respecter l’authenticité. Les tissus proviennent de merceries ou des propres réserves de l’artisane, récupérés au fil du temps.
Et si R’mila touche tant, c’est qu’elle parle à toutes les générations. «Une poupée, c’est l’enfance, la mémoire affective. C’est une façon douce de faire aimer le patrimoine dès le plus jeune âge», explique Hayet.

Le succès de R’mila dépasse les Aurès. D’Alger à Oran, de Tlemcen à Paris, jusqu’au Canada ou au Mexique, les commandes affluent. «Quand une poupée part à l’étranger, c’est comme si mon village natal voyageait avec elle», dit Hayet avec émotion. «C’est ma manière de faire exister R’mila, ce douar que je n’ai pas habité mais que je porte dans mon cœur», ajoute-t-elle.
Aujourd’hui, une nouvelle étape s’annonce : R’mila s’apprête à s’exposer à Tunis, preuve que le message qu’elle porte touche bien au-delà des frontières nationales.
Des projets en devenir
Des expositions locales ont déjà permis au public de découvrir son travail. Un livre, des vidéos, et des ateliers de transmission sont à l’étude. L’ambition est claire : pérenniser un savoir-faire et transmettre un message fort.
«La transmission, c’est un acte de résistance. C’est dire aux jeunes générations : ‘Tu viens de quelque part. Rappelle-toi.’», souligne Hayet Bouali qui, à travers R’mila, ne coud pas seulement des poupées. Elle tisse un pont entre passé et futur. Et aujourd’hui, ce pont franchit la mer : la poupée chaouie part à la rencontre de Tunis, où elle portera haut les couleurs de son peuple. Un geste humble, mais essentiel, pour que la culture chaouie continue de vivre, de vibrer et de rayonner bien au-delà des Aurès.

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