Quelques semaines avant sa mort, l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser donnait à Mouammar Kadhafi, qui venait d’accéder au pouvoir en Libye, une leçon de realpolitik aux tonalités bourguibiennes. Trop peu et déjà trop tard !
Mohamed Sadok Lejri

Dans cet enregistrement audio qui date de 1970, une vidéo publiée il y a quelques jours et devenue virale sur internet, Gamal Abdel Nasser se plaint auprès de Kadhafi sur un ton défaitiste, voire vaincu, du désengagement des pays arabes dans la lutte contre Israël. Les dirigeants arabes qui voulaient encore en découdre avec Israël ne faisaient que fanfaronner ; ils ne produisaient que de la pollution sonore.
Le président égyptien était dans une impasse et vivait un moment de doute et de grande vulnérabilité. Il faut dire que pendant plusieurs années, et plus précisément jusqu’à la défaite de 1967, il a tenté d’exercer un leadership exclusif dans le monde arabe de façon à apparaître comme le maître incontesté de ses destinées. Sa volonté d’hégémonie, son outrecuidance et son orgueil démesuré l’ont poussé à s’ériger en leader de l’Unité arabe et à se croire investi d’une mission historique pour réaliser cette unité.
Nasser s’était fait un point d’honneur d’unir et d’unifier les objectifs des peuples arabes et de répondre à leurs aspirations telles que la libération de la Palestine. L’alignement automatique sur sa politique jusqu’au-boutiste et l’infaillible allégeance aux dogmes du nationalisme arabe étaient nécessaires pour s’accorder les faveurs des panarabistes.
Ceux qui s’inscrivaient en faux contre les articles de foi de l’Eglise Nassérienne et tentaient d’échapper à son emprise, même parmi les dirigeants des autres pays arabes comme Bourguiba, étaient considérés comme des traîtres à la Nation arabe et des agents du colonialisme. Le refus d’allégeance de Bourguiba à Abdel Nasser a valu au premier un flot d’injures dont il s’est quotidiennement abreuvé pendant plusieurs années.
L’on peut en déduire en écoutant cet enregistrement qu’il a fallu passer par l’humiliation de 1967 pour que Nasser se mette à prononcer des discours aux accents particulièrement bourguibiens, c’est-à-dire pensés dans un esprit rationnel, pragmatique et lucide, loin de toute mégalomanie pharaonique et de tout dogmatisme. Mais il était déjà trop tard ! D’ailleurs, Nasser mourra quelques semaines après cet échange pathétique avec Kadhafi.
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