Gaza │ Personne ne pourra dire un jour qu’il ne savait pas

Pardon si la photo vous dérange. C’est une photo de famille — dans le quotidien palestinien avant que leur ville ne devienne Riviera. Les mots gaz et Gaza étaient plus proches qu’on ne le pensait… Et personne ne pourra dire un jour qu’il ne savait pas.

Olfa Rhymy Abdelwahed *

Face à l’horreur absolue, des questions d’ordres philosophique, historique, théologique, idéologique, politique, voire éthique, se juxtaposent dans mon esprit — et se heurtent à l’abîme.

Face à une mauvaise foi — au sens sartrien de ‘‘L’Être et le Néant’’, quand on se ment à soi-même pour fuir ses responsabilités —, où manipulation et arguments fallacieux sont au service du crime, je prends du recul. Je m’attelle à ma bonne foi, pour essayer de comprendre.

«Ne juge pas une personne avant d’avoir marché deux lunes dans ses mocassins», dit un proverbe amérindien.

J’ai marché dans les mocassins d’Ann Frank, retenant mon souffle avec elle dans l’annexe secrète.

J’ai fui avec Joseph Joffo, dans ‘‘Un sac de billes’’ traversant la guerre avec l’innocence de l’enfance vers la zone libre.

J’ai cherché Sarah en moi, dans ‘‘Elle s’appelait Sarah’’.

J’ai suivi ‘‘Le Garçon au pyjama rayé’’, pleuré devant ‘‘La Liste de Schindler’’, écouté ‘‘Le Silence de la Mer’’. J’ai espéré, comme dans ‘‘La Vita è bella’’.

J’ai marché dans les mocassins des familles arrêtées, déportées, humiliées, disloquées, exterminées. Deux mots ont marqué ma conscience au fer rouge : la solution finale.

Je pensais que l’humanité passerait le reste de son histoire à éviter de jamais les juxtaposer, même en mathématiques. Mais l’humanité aime étonner.

«Auschwitz a existé, donc Dieu n’existe pas», écrivait  Primo Levi. Cette phrase m’a glacée. Elle portait la douleur de tous ceux que la folie des hommes a déshumanisés. Et j’ai osé croire que plus jamais cela ne se reproduirait. Mais l’esprit humain s’arrête là. Il ne peut concevoir que des victimes d’une telle barbarie deviennent, un jour, bourreaux. Pas eux. Pas face à d’autres innocents. Et pourtant.

Le silence étouffant des décideurs

Quand Lord Balfour a promis une terre qui ne lui appartenait pas, il a piétiné justice, droit et vérité. Il a semé les graines d’un conflit éternel, jeté les bases d’un sionisme dévastateur, dépossédant les Palestiniens de leurs vies.

La Palestine existait bien avant 1917. Peuplée, vivante, enracinée dans l’histoire. Au carrefour des civilisations, elle a vu passer des peuples, des empires, des tribus. Les Ghassanides, Judham, Kinana, Kalb, Quda’a, et tant d’autres — présents avant même l’islam, bien avant la colonisation.

Ce n’est pas un débat. C’est un fait. Mais l’Histoire, quand elle dérange, devient inaudible.

Ils ont décidé Oui, ils ont décidé. Décidé de mettre la main de Dieu à la pâte, puisqu’il a jugé bon de leur promettre une terre déjà habitée, sans consulter les habitants. Décidé que Dieu était de leur côté sans nous prévenir. Décidé que Dieu octroie des terres selon la tête du client. Sans jamais oser envisager que le Livre de la Genèse puisse faire appel à des métaphores ou à des sens figurés.

Ils ont décidé. Ils ont aussi décidé que les autres doctrines hébraïques, comme celles défendues par les Naturei Karta qui veulent rester fidèles à leur destinée de peuple errant, sont nulles et non avenues … Décidé d’ériger la Shoah en monopole de la souffrance. Décidé de jeter un peuple dans les flammes, pour apaiser leur conscience.

Et nous voilà, 76 ans plus tard, face à une armée qui ne se cache même plus. Face à un État qui justifie l’injustifiable. Face à des soldats qui dansent sur les cadavres des enfants qu’ils ont pulvérisés. Les nazis cachaient leurs crimes. Leurs héritiers les diffusent en direct.

Le visage d’un soldat SS cruel, froid et impassible tranche avec celui d’un soldat de Tsahal jovial et dansant sur les cadavres d’enfants.

Ils enterrent les vivants et dansent  Ils mutilent les enfants et dansent. Ils éliminent les médecins, les journalistes, les humanitaires et dansent  Ils affament, déportent, massacrent… Avec méthode. Avec assurance. Avec jouissance. Ils disent jouer leur survie. Ils reproduisent le schéma de leurs anciens bourreaux — avec plus de cynisme, plus d’insolence, plus de spectacle.

Le soldat SS est devenu Tsahal, hilare, dansant au milieu des ruines. L’image insoutenable d’un monde qui sombre. Mais des ombres incertaines de justes parmi les hommes se détachent au bout d’un tunnel long de 76 ans

Et moi, dans tout ça. La goutte d’eau dans l’océan. L’infiniment petit dans le cosmos. Je ne m’adresse pas aux citoyens du monde, ni aux générations futures dont font parties mes élèves, ni même à mon fils pour un devoir de mémoire. J’écris pour cette voix intérieure qui me dira un jour : «Tu savais.»

* Enseignante.

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