En annonçant hier, mardi 17 octobre 2023, sa décision de limoger le ministre de l’Economie et de la Planification Samir Saïed, le président de la république Kaïs Saïed n’a surpris personne, car tous les observateurs à Tunis s’y attendaient depuis plusieurs mois.
Par Imed Bahri
Surpris Samir Saïed ? Sans doute pas. Soulagé ? A n’en pas douter. Car l’homme était à l’étroit dans la position où il s’est trouvé depuis deux ans, à mener une politique qui n’est pas la sienne et à défendre des décisions dont il ne voyait ni l’utilité ni l’intérêt et dont, plus grave encore, il voyait les possibles conséquences néfastes sur le pays.
L’ex-ministre s’est certes permis d’exprimer, de temps à autre, quelque différence, en osant contredire ouvertement le président de la république, et notamment ses positions hostiles aux bailleurs de fonds internationaux, et surtout au Fonds monétaire international (FMI). Il voulait sans doute atténuer les effets négatifs que pouvaient avoir les déclarations présidentielles et préserver ainsi les chances de la Tunisie de se voir accorder le prêt de 1,9 milliard de dollars dont l’accord au niveau des experts avait été signifié depuis octobre 2022, mais il ne se faisait pas trop d’illusion à ce sujet.
Difficile de ramer à contre-courant
L’expression de cette différence n’a pas tardé à braquer le président de la république qui n’a pas manqué de recadrer «son» ministre en des termes fermes, lui rappelant, au cas où il l’aurait oublié, que la politique, y compris économique, de l’Etat est définie par le chef de l’Etat et que les ministres n’ont qu’une tâche d’exécution.
Depuis ce «recadrage», Samir Saïed a fait semblant de défendre la politique économique du gouvernement et de s’inscrire dans la ligne soi-disant «souverainiste» du «compter sur soi» préconisée par le chef de l’Etat, tout en maintenant, autant que faire se peut, un lien ténu avec le FMI et les autres bailleurs de fonds internationaux, étant profondément convaincu que la Tunisie n’a pas les moyens de sortir seule de la crise financière où elle continue de s’enfoncer chaque jour un peu plus et qu’elle doit maintenir des liens forts avec ses partenaires historiques. Mais il savait que ses vœux étaient pieux, que ses jours au gouvernement étaient comptés et que, tôt ou tard, il allait être débarqué.
Il s’est donc contenté de faire semblant. Etant convaincu que la situation générale dans le pays n’était pas propice à la relance de la machine économique, grippée depuis 2011, et que la politique poursuivie ne pouvait qu’aggraver cette crise et l’approfondir, il s’est gardé de s’exprimer sur les enjeux et les difficultés du présent, qu’il sait insurmontables dans de brèves échéances, pour faire des plans sur la comète et échafauder des stratégies pour les années 2030, 2040 et 2050. Etant empêché d’accomplir sa mission de ministre de l’Economie, il s’est contenté d’être celui du Plan, en attendant le couperet qui n’allait pas tarder à tomber.
Convictions et plan de carrière
Des mauvaises langues disent cependant que Samir Saïed est un enfant du système libéral au sein duquel il a évolué durant toute sa carrière, au sein de l’administration tunisienne d’abord, où il s’était occupé de l’investissement et était en contact direct avec les opérateurs privés, tunisiens et étrangers, comme au sein des entreprises où il a travaillé et qu’il a dirigées comme la Société tunisienne de banque et Tunisie Telecom.
Ils disent aussi qu’étant conscient d’avoir atteint le sommet de sa carrière sur le plan national, en dirigeant deux des plus importantes entreprises publiques et un département ministériel, il a mené sa barque cahin-caha, en veillant à ne pas brûler ses vaisseaux, en espérant être bientôt rappelé à des fonctions dans une institution internationale, comme cela arrive souvent pour les anciens ministres, tunisiens ou autres.
Ne dit-on pas que, généralement, les convictions personnelles ne précèdent pas les plans carrières professionnelles, mais en dépendent dans une large mesure.
Bon vent M. Samir Saïed ?
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