Peut-on espérer que le président Kaïs Saïed, qui cumule tous les pouvoirs en Tunisie, prendra conscience que la mafia des ports de Radès et de Sousse représente un danger mortel pour l’économie de notre pays, fortement secouée par la poussée inflationniste consécutive au conflit ukrainien et aux mesures d’austérité budgétaire imposées par la situation catastrophique des finances publiques ?
Par Elyes Kasri *
La Tunisie a incontestablement de nombreux atouts pour attirer les investisseurs étrangers notamment à la faveur de l’ère post-Covid qui a montré à l’Europe les risques d’une trop grande dépendance de la Chine et la reconfiguration géostratégique qui se profile à la faveur du conflit Otan-Russie en Ukraine.
Le commerce parallèle se nourrit de l’anarchie
D’autre part, la tenue au cours de la semaine dernière de la 5e conférence internationale sur le financement de l’investissement et du commerce en Afrique (Fita 2022) en présence d’une importante délégation coréenne et la prochaine tenue en août 2022 du 8e sommet de la 8e Conférence de Tokyo sur le développement en Afrique (Ticad 8) laissent espérer une revitalisation des investissements asiatiques en Tunisie surtout en provenance de pays hautement industrialisés susceptibles de faire monter en valeur et en technologie la production et les exportations tunisiennes.
Toutefois, après une période de stagnation à la fin de l’ère Ben Ali et une période de désordre et de recul sur tous les paramètres de compétitivité internationale de la Tunisie au cours de la période post-révolution, un grand chantier se présente au président Kaïs Saïed pour répondre aux véritables attentes du peuple tunisien en matière d’emploi, de pouvoir d’achat et de lutte contre la corruption.
La plus grande menace à l’emploi et au trésor public tunisien est incontestablement le commerce parallèle qui se nourrit de l’anarchie qui règne dans les ports tunisiens en plus et dans une moindre mesure des points frontaliers terrestres.
Le port de Radès classé parmi les pires au monde
Ayant été ambassadeur en Allemagne, j’ai été témoin de plusieurs discussions sur le préjudice causé par le port de Radès à l’attractivité de la Tunisie en tant que site d’investissement pour les entreprises allemandes notamment dans le secteur des composants automobiles. De hauts responsables des plus grands constructeurs automobiles allemands ont souligné la nécessité de la ponctualité des livraisons de composants automobiles fabriqués en Tunisie car ils alimentent des chaînes de production qui ne peuvent attendre une livraison aléatoire en provenance de Tunisie.
Ce n’est pas par hasard si le port de Radès est classé parmi les pires au monde d’après la deuxième édition de l’indice mondial de performance des ports à conteneurs (CPPI) élaboré par la Banque mondiale et S&P Global Market Intelligence, qui permet de mesurer et comparer les performances des infrastructures portuaires dans le monde et sert d’étalon aux principaux acteurs de l’économie, publié le 25 mai courant.
D’après la Banque Mondiale, l’indice CPPI et ses données sous-jacentes visent à identifier les lacunes des infrastructures portuaires commerciales et à mettre en évidence des possibilités d’amélioration qui profiteraient à tous les acteurs clés du commerce mondial : États, compagnies maritimes, opérateurs de ports et de terminaux, affréteurs, entreprises de logistique et consommateurs.
D’après le Container Port Performance Index, le port de Radès est classé aux dernières positions, à l’échelle internationale et ce, respectivement, aux rangs 232e et 237e sur les 370 ports objet du recensement.
Compétitivité portuaire : la Tunisie perd 40 places en 10 ans
La Tunisie a perdu, durant la dernière décennie, 40 places au classement international établi par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) en matière de compétitivité des services portuaires.
Selon la Banque mondiale, le port de Radès qui concentre 80% du trafic de conteneurs du pays est le maillon majeur d’intégration de la Tunisie dans les chaînes de valeur mondiales or, les indicateurs de performance de ce complexe portuaire sont en régression sensible depuis dix ans.
Pour sa part, le port de Sousse semblerait se positionner pour concurrencer Radès en attirant toutes sortes de trafics illicites. Le scandale des centaines de conteneurs de déchets italiens entrés par le port de Sousse semble n’être que la partie visible de l’iceberg de la corruption et de la gouvernance calamiteuse du port de Sousse.
Paradoxalement, le président Kaïs Saïed aurait pu engager des actions rapides et rassurantes pour les Tunisiens et les investisseurs et pourvoyeurs de fonds étrangers dès l’été 2021. Il n’est pas trop tard pour bien faire.
Les saboteurs de l’économie sévissent aux ports de Radès et Sousse
Même si les réformes politiques peuvent être utiles, la neutralisation des saboteurs de l’économie, de l’emploi et du trésor public commence à Radès et à Sousse.
Ces deux ports auraient dû être mis depuis l’été 2021 sous le contrôle de l’armée nationale car ils représentent une des plus grandes menaces à la sécurité et la stabilité de la Tunisie.
Beaucoup de chefs de gouvernement se sont cassé les dents sur le port de Radès et ont été humiliés après leur visite à ce foyer de corruption et de sabotage de l’économie nationale par des incendies suspects qui visaient probablement à montrer les véritables maîtres des lieux.
Il y a lieu d’espérer que le président Kaïs Saïed prendra conscience que la mafia portuaire en Tunisie représente un danger mortel pour le pays et tous les Tunisiens dont la moitié s’approche dangereusement de la ligne de pauvreté surtout à la faveur de la poussée inflationniste consécutive au conflit ukrainien et aux mesures d’austérité budgétaire posées comme une condition incontournable à l’accès au financement du FMI et des institutions financières internationales sans lequel la Tunisie risque la cessation de paiement et l’explosion sociale.
* Ancien ambassadeur.
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