La dépénalisation des chèques sans provision en Tunisie mettra certainement fin à la loi de la jungle dans le secteur des transactions financières, qui ruine depuis plusieurs années des milliers de familles, d’investisseurs et de jeunes promoteurs et provoque la perte de milliers d’emplois.
Adopté par le conseil des ministres du 22 mai 2024, le projet de loi modifiant les dispositions de l’article 411 du code de commerce et du chapitre 96 du code pénal vise à assouplir les sanctions (pénales et financières) pour les émetteurs des chèques sans provision et à remplacer la peine de prison par une peine alternative.
Il prévoit également d’ériger en infraction pénale le bénéfice d’un chèque de garantie, d’introduire le principe du cumul des peines prononcées au cours d’un même procès, de revoir les peines d’emprisonnement prononcées par différentes juridictions et d’élargir le champ des procédures de règlement à la phase d’exécution des peines.
L’expert-comptable Hamed Mama, cité par l’agence Tap, a qualifié cet amendement de «bonne nouvelle, à condition que l’on parvienne à mettre en place un système offrant une meilleure garantie de recouvrement des créances, par exemple en adoptant le concept de chèque électronique ou en introduisant l’utilisation des cartes bancaires».
Toutefois, le porte-parole de l’Association nationale des PME, Abderrazek Houas, estime qu’il n’y a rien de nouveau dans cet amendement, d’autant que le gouvernement entend maintenir les sanctions. «Il n’y a pas d’ajouts ou de modifications à l’article 411 concernant la pénalisation de la réception d’un chèque de garantie», a-t-il souligné, ajoutant que son association «a présenté une feuille de route qui n’a malheureusement pas été prise en compte par les autorités de contrôle».
Une nouvelle facture décevante
Pour de nombreux chefs d’entreprise, notamment ceux déjà reconnus coupables de chèques sans provision, le nouveau projet de loi est «une déception».
Ons, une jeune femme d’affaires autrefois prospère et qui vit recluse depuis plusieurs années, a déclaré que le problème aujourd’hui n’est pas la modification de l’article 411 du Code de commerce, mais plutôt la suppression des poursuites judiciaires.
Condamnée à 20 ans de prison pour chèques sans provision d’une valeur de 30 000 dinars, l’ancienne cheffe d’entreprise estime qu’il est urgent de décréter une amnistie et de libérer les prisonniers condamnés à plusieurs années de prison.
«Les procès pour chèques sans provision ont brisé des familles entières et provoqué la perte de dizaines d’emplois», a-t-elle indiqué, appelant à «une décision révolutionnaire qui tienne compte de ces histoires humaines et réponde aux besoins de la situation actuelle».
Le projet de loi ne résoudra pas le problème
La suppression de la peine d’emprisonnement n’aura pas d’impact positif car l’émetteur du chèque peut en même temps être bénéficiaire dans d’autres transactions, argumente le juriste Wassim Ajengui. «Ils sont tiraillés entre augmenter ou réduire la pénalité encourue», a déclaré le responsable, ajoutant que «l’augmentation de la pénalité rend impossible le remboursement de la dette et la réduire encourage les gens à émettre des chèques sans provision».
«Les nouvelles dispositions devraient être reformulées de toute urgence avant d’être adoptées par l’assemblée, car les révisions proposées ne sont pas efficaces», a-t-il estimé.
Un chèque sans provision a généralement des conséquences négatives pour l’individu, car la sanction s’adresse aux citoyens économiquement actifs, ce qui signifie davantage de dettes, a ajouté le responsable.
Selon les statistiques établies par le ministère de la Justice, 204 personnes ont été écrouées pour le délit d’émission de chèques sans provision à fin avril 2024, sur un total de 496 personnes placées en garde à vue.
Par ailleurs, 11 265 plaintes ont été déposées par le ministère de la Justice pour des infractions liées à l’émission de chèques sans provision.
D’après Tap.