Aggravation de la crise économique en Tunisie : la preuve par la démographie

L’économie tunisienne est en crise profonde depuis 2011. Tous les indicateurs économiques traditionnels le disent. Mais il y’en a un auquel nous ne pensons pas d’emblée mais qui signale, plus concrètement encore, le déclin global que vit notre pays depuis une douzaine d’années dans pratiquement tous les domaines : la démographie.

Imed Bahri

Cet indicateur, tout aussi inquiétant que la baisse de la productivité, l’effondrement de l’investissement industriel, la persistance de l’inflation, le blocage de la croissance ou l’endettement de l’Etat, c’est l’effondrement de la croissance démographique, qui a été divisée par quatre depuis la sortie de la crise de la Covid.

Deux de nos meilleurs économistes tirent la sonnette d’alarme à ce sujet. Il y a d’abord Hachemi Alaya, dans son bulletin de conjoncture économique  ‘‘Ecoweek’’ (N° 30 du 18 août 2024) qui, sous le titre «Le dépeuplement menace», écrit : «Au 1er janvier 2024, la Tunisie comptait selon l’INS, 11,887 millions d’habitants soit, 0,31% de plus qu’il y a juste un an. C’est le croı̂t démographique le plus faible du siècle. Une croissance qui a été divisée par trois en l’espace d’une décennie passant de 1,02% en moyenne 2010-2019 à +0,35% en moyenne 2022-2024. Un effondrement qui en dit long sur le mal-être social du Tunisien dans la mesure où il résulte pour partie, du recul des mariages qui a induit une baisse de la natalité et, pour l’autre partie, de la vague migratoire inédite qui frappe le pays.»

Grave déséquilibre régional

Les chiffres de l’INS prouvent aussi, s’il en est encore besoin, l’aggravation du déséquilibre démographique entre les régions littorales et l’intérieur du pays. En effet, les trois-quarts (74,8%) des 11,887 millions d’habitants que compte notre pays (1er janvier 2024) sont concentrés le long du littoral maritime et, pour près d’un quart (24,5%) dans la région de Tunis. «Dans les régions du littoral, la population croı̂t deux fois plus vite que dans les régions de l’intérieur : +0,36% vs +0,19%», souligne Alaya.

Un autre économiste, Moktar Lamari s’alarme, de son côté, du recul de l’espérance de vie des citoyens depuis 2011. Dans un poste publié hier, vendredi 23 août 2024, dans son blog Economics for Tunisia (E4T), il passe en revue les données à ce sujet publiées, le même jour, par l’agence Fitch, dans un rapport sur le secteur de la pharmacie et de la santé en Tunisie.

Selon ce rapport, l’espérance de vie des Tunisiens a reculé pour plusieurs franges de la population, et surtout pour les hommes. Entre 1990 et 2000, celle-ci a augmenté en moyenne de 2 ans, passant de 70,1 à 73,7 ans. Entre 2000 et 2010, elle est passée à 75,4 ans, soit aussi une augmentation de presque 2 ans en moyenne. Mais entre 2010 et 2020, l’espérance de vie n’a pas seulement cessé de progresser, mais elle a reculé passant à 75,3 ans en moyenne, plus nettement chez les hommes que chez les femmes.

Atteinte à la santé du citoyen

«Le délabrement du système de la santé est en cause. L’inaccessibilité aux soins de qualité, aux médicaments abordables et aux hôpitaux équipés est un déterminant clef de cette atteinte à la santé du citoyen», souligne Lamari, tout en faisant judicieusement remarquer que «les élites de l’État se soignent dans les hôpitaux militaires ou les cliniques privées. Les autres sont laissés pour compte.»

Un autre phénomène inquiétant aggrave cette situation déjà assez alarmante: les médecins et les infirmiers qui quittent le pays, faute de ressources et d’espoir.

Pour les médecins qui auraient quitté la Tunisie depuis 2011 pour aller exercer en Europe et dans les pays du Golfe, l’économiste avance le chiffre de 18 500, soit près de 1500 chaque année, ce qui explique le désert médical dont souffre aujourd’hui la plupart des régions tunisiennes, et qui a amené l’Etat à faire venir des médecins chinois, comme dans les années 1960 et 1970 du siècle dernier, ce qui dénote une forte régression du système de santé publique dans un pays où la médecine est réputée relativement développée et où beaucoup d’étrangers, africains mais aussi européens (pour certaines spécialités), viennent régulièrement se soigner dans ses cliniques privées.

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