Pour l’auteur de l’article la date du 12 décembre est celle d’un triste anniversaire. Ce jour-là de l’année 1973, un drame est survenu qui a coûté la vie à quelques dizaines d’élèves sur le chemin de l’école, quelque part à Ksar-Gafsa. Un drame que l’histoire n’a pas retenu et que la mémoire populaire à vite oublié. (Photo : Pont métallique sur Oued Bayech).
Dr Monem Lachkam *
في ليلة وما ننساهاش والبرق يشالي
كميونة بياش ديما في بالي
يما خويا ما جاش، يما خويا ما جاش اقعد التالي
قلي يا بياش وين نلاقيهم
Cette chanson, trop triste de par ses paroles et sa mélodie, réveille à chaque fois en moi une terrible douleur doublée d’une incompréhension voire même d’une haine.
Le 12 décembre 1973, j’avais 9 ans et je m’en rappelle comme si s’était aujourd’hui.
Il pleuvait beaucoup et le terrible Oued Bayech était en crue. À l’époque il n’y avait pas de pont et des élèves de Ksar-Gafsa devaient le traverser en bus matin et soir pour aller à l’école.
Ce jour là, un criminel que je ne nommerai pas, le directeur régional de l’équipement, avait décidé qu’il était possible de mettre quelques dizaines d’élèves dans un camion et de les faire traverser.
Il faisait très froid et très humide, ces pauvres gosses, comme la majorité des élèves à l’époque, n’étaient pas suffisamment habillés pour la saison. Ils grelottaient, ils avaient très faim car ils étaient obligés d’attendre jusqu’à une heure tardive au bord du monstre Bayech. Et plutôt que de les nourrir, de les réchauffer et de les héberger en ville jusqu’à la décrue, les officiels ont décidé de les jeter dans l’eau glaciale le ventre vide avec leur pauvre chauffeur. C’est un cauchemar au quotidien que d’imaginer leur calvaire, le froid, la faim, le violent courant glacial et le supplice de la noyade.
Aucun élève n’a été sauvé, aucun n’a survécu, aucun officiel n’a été inquiété, pas d’obsèques nationales et même pas de condoléances officielles.
Ce jour là, je m’en suis réellement voulu de ne pas avoir à traverser le fleuve pour rentrer chez moi. Pourquoi eux, car à mon âge, je croyais que ce n’était que la faute du fleuve. Mais je n’ai pas mis beaucoup de temps pour comprendre, à la suite d’événements similaires, que dans ma région et dans les autres régions de l’intérieur, il était fortement répréhensible de revendiquer le statut de l’être humain à part entière, que c’était notre lot de souffrir en silence et de ne prétendre à aucune espèce de protection contre les impétueux éléments.
Alors pour ceux qui ne peuvent pas admettre qu’on puisse critiquer Bourguiba, parce qu’ils n’ont pas eu à vivre de tels drames, je peux faire l’effort de les comprendre, mais ceux qui continuent à nous confisquer ce droit en connaissance de cause, parce qu’ils continuent à adhérer à ce concept qui veut qu’il y ait deux Tunisie, celle des bien-nés et celle des poussières d’individus, je n’ai que du mépris à leur service.
* Chirurgien à Gafsa.
Donnez votre avis