Le cessez-le-feu temporaire à Gaza de 42 jours, dont les négociations pour le pérenniser viennent de débuter, a été accepté par Israël non pas par renoncement aux pulsions bellicistes de la part de Benjamin Netanyahu et sa coalition de pyromanes mais pour s’acharner sur la Cisjordanie que tous les sionistes rêvent de rattacher à Israël.
Imed Bahri
Les démolitions à Jénine indiquent une nouvelle méthode israélienne en Cisjordanie et nous assistons à un prélude de la transformation de ce territoire en deuxième Gaza, a écrit Marcus Walker dans une enquête publiée par le Wall Street Journal, ajoutant que les territoires palestiniens occupés sont un champ de bataille pour Israël tandis que le camp de Jénine est devenu la ligne de front.
Dimanche, les forces israéliennes ont démoli 23 bâtiments à Jénine et dégagé une route traversant le camp au milieu ce qui n’est pas sans rappeler le corridor de Netzarim qui coupe en deux la bande de Gaza. Simultanément, des explosions ont été entendues dans une grande partie du nord de la Cisjordanie.
À Jénine, ces événements semblent indiquer une approche plus agressive de la part d’Israël qui pourrait conduire à un remodelage physique et politique de la Cisjordanie, indiquent des analystes israéliens et palestiniens.
De nombreux habitants de Cisjordanie craignent que les tentatives d’Israël de réprimer par la force les groupes armés dans ce territoire conduisent à des résultats similaires à ceux observés à Gaza: destruction de zones urbaines denses, déplacement de civils et chaos politique.
«Israël déplace la guerre vers la Cisjordanie», a déclaré le politicien palestinien Mustafa Barghouti notant que les forces israéliennes étendaient déjà leurs opérations à d’autres parties de la région.
L’armée israélienne affirme au contraire que les démolitions qu’elle a effectuées dimanche visaient à détruire des habitations liées à des «structures terroristes».
Importants dégâts aux habitations denses
Le mois dernier, l’armée a élargi ses objectifs officiels pour inclure la Cisjordanie promettant de déraciner les groupes armés en commençant par Jénine. Même promesse à Gaza au lendemain du 7 octobre pour éradiquer le Hamas et après presque un an et demi de guerre destructrice, le groupe armé palestinien est loin d’être éradiqué.
La semaine dernière, le ministre israélien de la Défense Israël Katz qui a visité le camp avec des dirigeants militaires a déclaré: «Le camp de Jénine ne redeviendra pas ce qu’il était.» Il a ajouté qu’après l’offensive actuelle, qui a commencé par des frappes aériennes et une manœuvre terrestre dans le camp il y a deux semaines, «les forces israéliennes resteront dans le camp pour s’assurer que le terrorisme ne revienne pas.»
Katz n’a pas précisé combien de temps les forces israéliennes resteraient sur place ni qui gouvernerait la zone et fournirait les services de base aux résidents dans le cadre d’une occupation à long terme. L’opération a causé d’importants dégâts aux habitations denses du camp et de nombreuses familles ont fui mais d’autres sont restées selon les résidents.
Les habitants du camp et les analystes israéliens affirment que les forces israéliennes semblent découper le camp de Jénine en morceaux. Elles élargissent les routes avec des bulldozers et démolissent des bâtiments pour faciliter le mouvement des troupes à travers le labyrinthe de ciment et de blocs de béton.
L’Autorité palestinienne totalement dépassé
Michael Milstein, ancien chef de la division palestinienne au sein des renseignements militaires israéliens (Aman), a déclaré que l’approche était similaire à celle des forces israéliennes à Gaza bien qu’à une échelle plus petite. «Ils essaient de diviser le camp en plusieurs parties. C’est très similaire au nord de Gaza. Il n’est pas certain qu’Israël ait un plan pour calmer la région après les combats. Comme à Gaza, nous voyons des actions tactiques ou opérationnelles, mais quelle est la stratégie?», s’interroge Milstein qui travaille aujourd’hui comme chercheur à l’Université de Tel Aviv.
Les combats à Jénine ont davantage affaibli l’Autorité palestinienne (AP) qui gouverne certaines parties de la Cisjordanie en vertu d’accords avec Israël signés dans les années 1990. L’AP et le mouvement Fatah qu’elle contrôle ont également perdu une grande partie du soutien populaire en raison de la corruption, de la répression et de l’incapacité à atteindre les objectifs nationaux et le droit à l’autodétermination.
Cet hiver, les forces de sécurité de l’AP ont tenté pendant plusieurs semaines de chasser les combattants du camp de Jénine mais sans grand succès. L’armée israélienne a pris ensuite le contrôle du camp en utilisant une puissance de feu considérable. Les actions de l’AP sont impopulaires parmi les Palestiniens. Beaucoup la considèrent désormais comme un prestataire de sécurité pour l’occupation israélienne.
Un fief de la résistance à l’occupation israélienne
Le camp de Jénine est un labyrinthe de blocs de béton qui s’étend sur une colline au-dessus de la ville de Jénine, il a été construit après la guerre de 1948. Le camp est depuis longtemps un fief de la résistance armée à l’occupation israélienne de la Cisjordanie depuis 1967. Ces dernières années, des militants de diverses factions basées dans les camps de réfugiés ont mené à Jénine et dans d’autres villes de Cisjordanie de nouvelles attaques contre des soldats et des colons israéliens. Par conséquent, ces attaques ont conduit l’armée israélienne à se concentrer davantage sur la Cisjordanie, à y déployer davantage de troupes et ont de ce fait négligé Gaza ce qui explique pourquoi l’armée n’a pas été en mesure de prévoir l’opération Déluge d’Al-Aqsa d’octobre 2023, selon Lado Hecht, expert en défense à l’Université Bar-Ilan. Le cessez-le-feu à Gaza et au Liban a donc donné à l’armée l’occasion de redéployer ses forces et de se concentrer de nouveau sur la Cisjordanie.
Certains responsables palestiniens affirment que le moment de l’attaque israélienne contre Jénine est politique. L’accord de cessez-le-feu de Gaza, qui a permis au Hamas de réapparaître dans la bande de Gaza, a laissé de nombreux partisans du gouvernement de droite israélien en colère et frustrés. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son allié de coalition d’extrême droite, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, ont présenté l’escalade de la répression en Cisjordanie comme une continuation de la guerre pour tenter de satisfaire leurs sympathisants.
Le journal américain a cité le général de brigade Anwar Rajab, porte-parole des forces de sécurité de l’AP, qui a déclaré que l’opération israélienne à Jénine faisait partie d’un effort plus large visant à saper les forces de sécurité palestiniennes. Il a déclaré que l’armée israélienne avait entravé l’opération des forces de sécurité palestiniennes à Jénine et a accusé Israël de ne pas se coordonner avec elles. Et dans l’autre sens, le gouvernement israélien accuse depuis longtemps l’AP de soutenir et d’inciter au terrorisme mais les services de sécurité israéliens considèrent l’Autorité comme un partenaire important pour contenir les groupes armés.
Dans le camp de Jénine et dans d’autres parties de la Cisjordanie, une nouvelle génération de Palestiniens s’est tournée vers les armes en raison des échecs de l’AP, de la violence des colons et du manque de perspectives d’une vie meilleure selon Nimrod Novick, ancien conseiller du gouvernement israélien. Il explique: «Les jeunes palestiniens, en particulier ceux qui ne se souviennent pas des cicatrices de la deuxième Intifada, recherchent une alternative violente.»
Nimrod qui est aujourd’hui membre de l’Israel Policy Forum, un groupe de réflexion basé aux États-Unis, ajoute que les destructions de Jénine pourraient devenir un modèle pour les opérations israéliennes dans la région. Il estime que nous assistons à un lent glissement vers la transformation de la Cisjordanie en Gaza.
Donnez votre avis