Si Béji Caïd Essebsi veut gagner la postérité, il serait temps que le père en lui cède la place à l’homme politique qu’il a toujours su être jusque-là.
Par Salah El Gharbi *
Après avoir écouté patiemment l’intervention du «fils» fustigeant publiquement son adversaire (entretien de Hafedh Caïd Essebsi, hier soir, sur la chaîne Nessma, NDLR), en utilisant un discours haineux et d’une affligeante crudité, on ne peut qu’être scandalisé voire même désespéré par autant d’arrogance et autant de fatuité. Tout ça pour ça ? Cinq années de turbulences, de combats, de déchirements, pour assister à une sordide mascarade savamment orchestrée?
Une pénible prestation médiatique
Après la stupéfaction provoquée par l’incident de Hammamet, voilà que la consternation frappe les esprits de beaucoup d’entre nous qui avons cru en «Si Béji», l’avons adulé, voyant en lui le visionnaire et l’incarnation même de la sagesse politique.
D’ailleurs, durant «l’entretien» et pour cacher ses desseins, le «fils» s’est évertué à détourner l’attention du public en se créant un adversaire (Mohsen Marzouk, secrétaire général de Nidaa Tounes, NDLR) qu’il s’est mis à accabler sans ménagement de tous les maux, persuadé qu’en s’inventant un bouc émissaire, il parviendrait à dissimuler ses propres limites. Or, la médiocrité est plus criante dans l’habit de l’intelligence… Ce n’est pas la flatteuse compagnie d’une bande d’opportunistes, qui fait «l’homme politique».
Après cette pénible prestation médiatique, la confiance, écornée, cède la place à la suspicion.
Désormais, tout le monde s’interroge sur l’attitude «ambigüe» du père et sur sa troublante «neutralité». «Que cherche BCE?»; «Sa supposée neutralité n’est-elle pas une simple posture politique?»; «Pour qui roule le fils ?»… Autant de questions qui taraudent les esprits de tous ces gens inquiets pour l’avenir de leur pays. Même les plus farouches partisans de «Si Béji» sont gagnés par le doute et sont, depuis quelque temps, scandalisés par la légèreté manifeste avec laquelle le président de la république ne semble pas empressé de mettre fin au pathétique feuilleton que nous vivons… Et les spéculations vont bon train. Certains même commencent à se demander si tout n’était orchestré et si, en nommant son fils comme vice-président, le père ne cherchait à favoriser son ascension politique.
Caprices d’un fils et exigences de la patrie
La fable de la grenouille qui voulait devenir plus gros que le boeuf doit faire réfléchir plus d’un. On ne s’improvise pas homme politique d’envergure. C’est un travail de longue haleine. Si, la volonté paternelle aidant, le fils parvenait à ses fins, sa durée de vie politique ne dépasserait pas celle de son père. Il aurait, alors, détruit un parti, semé la gabegie pour peu de chose. Car, on sous-estime l’opinion publique mais aussi la logique même des réalités politiques. L’avenir de Nidaa Tounes n’a jamais été aussi compromis qu’aujourd’hui. Et ce ne sont pas les gesticulations tous azimuts de l’ombre d’un homme politique qui vont limiter les dégâts. Non seulement le parti va inéluctablement, sauf miracle, voler en éclats, mais aussi l’image de «Si Béji» devrait pâtir des manœuvres incontrôlées de son fils.
Certes, la patrie doit passer avant le parti. Mais, que valent les caprices d’un fils devant les exigences de la patrie ? Beaucoup d’entre nous, et malgré les réserves qu’on peut avoir, s’obstinent à croire que «Si Béji», pour lequel nous continuons à vouer du respect et de la considération, saura redresser la barre. Ce grand homme qui a su gérer, avec succès, une situation politique inextricable saura tempérer la fébrilité d’un fils, fourvoyé par la cupidité d’une cour d’opportunistes… Si «Si Béji» voulait gagner la postérité, il serait temps que le père cède la place à l’homme politique qu’il est. Car, il serait, malheureux, voire insensé, que le dernier acte soit bâclé. L’Histoire, impitoyable, en sera témoin.
* Universitaire et écrivain.
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