«Trouver l’équilibre entre la préservation de la santé du Tunisien et celle de l’économie du pays», telle est la stratégie clairement annoncée par le chef du gouvernement Hichem Mechichi pour lutter contre la pandémie de la Covid-19. Le problème c’est qu’aujourd’hui, ni la santé du citoyen ni l’économie du pays ne sont préservées. Au contraire, les deux sont malades à un niveau inquiétant et il est quasi impossible de gérer les deux problèmes en même temps sans perte de vies humaines et sans déficits pour l’économie nationale.
Par Faouzi Addad *
Le seuil de 150.000 cas de coronavirus (2605 morts) a été franchi le 11 octobre 2020 chez nos frères marocains. Ils luttent eux aussi contre ce virus depuis le 2 mars dernier, avec des mesures similaires aux nôtres. Cependant leurs usines ont continué à travailler à un rythme élevé (notamment pour la fabrication des masques) et leur système de santé public est aussi délabré que le nôtre. Le nombre de cas de contamination continue de grimper avec un nombre de décès journalier variant entre 30 et 40 par jours. Pour une population trois fois plus importante que la nôtre, ces chiffres montrent le drame qui nous attend, en Tunisie, si nous continuons avec la même vitesse de circulation du virus.
Combien de morts faudra-t-il pour proclamer le confinement général ?
Dans ce contexte, l’idée de l’ancien ministre de la Santé et professeur en anesthésie réanimation Mohamed Salah Ben Ammar de profiter de la célébration de la fête de l’Evacuation, le 15 octobre, et du «pont» automatique qu’établissent les Tunisiens pour prendre 4 jours de congé d’affilée, donc de confinement général, aurait dû être adoptée. Ç’aurait été une façon intelligente de casser la chaîne de transmission interhumaine sans retentissement sur l’économie. Mais le gouvernement semble plutôt se diriger vers un seuil de morts et de lits saturés pour annoncer le confinement général. La question alors c’est combien de morts faudra-t-il pour que l’Etat réagisse?
Les modèles mathématiques sont là pour nous aider à anticiper. Avec les mesures barrières préconisées actuellement, nous aurons 500 morts le mardi 20 octobre, et 1000 à la fin de ce mois. Nous pouvons cependant démentir ces prévisions avec des mesures de protection plus fortes, même par à coup et en alternance, tout en essayant de sauver le pays de la faillite.
D’un autre côté, le grand public découvre avec stupeur l’état de nos hôpitaux publics, et même des plus prestigieux d’entre eux et les plus proches du siège du ministère de la Santé, à Bab Saadoun.
L’hôpital public a été délaissé depuis l’époque de Ben Ali
Cet état de fait date de plusieurs années dans l’indifférence totale des différents dirigeants qui se sont succédé à la tête du pays. L’hôpital public a été délaissé depuis l’époque de Ben Ali et c’est uniquement grâce au dévouement des soignants, que les établissements sanitaires continuent malgré tout de donner des soins de qualité dans une hôtellerie médiocre voir inexistante et de réaliser des exploits médicaux. Ce sont aussi ces mêmes hôpitaux qui forment des médecins prisés dans le monde entier.
Je veux ici rendre hommage à tous ces soignants qui se battent dans des conditions très difficiles mais qui ont fait le serment de n’abandonner aucun Tunisien.
Ceci dit, il y a encore, dans nos hôpitaux, de nombreux problèmes plus importants que ceux relatifs à la vétusté des locaux, comme celui des ressources humaines qui, comme dans le reste du monde, sont épuisés et insuffisamment valorisées.
Tous les indicateurs sont en faveur d’une épidémie qui va durer
La ligne rouge est très proche et je ne souhaite vraiment pas qu’elle soit franchie. Nous devons tous être positifs malgré les difficultés à venir, car tous les indicateurs sont en faveur d’une épidémie qui va s’étendre et durer. Le vaccin miracle est attendu mais avec encore beaucoup d’interrogations. Deux urgences sont à prendre en considération: on doit garantir la fabrication continue des bavettes et notre industrie pharmaceutique locale doit s’adapter et se réorganiser pour éviter une pénurie annoncée des médicaments, eu égard la hausse du phénomène de l’automédication.
«Trouver l’équilibre entre la préservation de la santé du Tunisien et celle de l’économie du pays», telle est la stratégie clairement annoncée par le chef du gouvernement Hichem Mechichi pour lutter contre la pandémie de la Covid-19. Il va donc falloir changer de stratégie car aujourd’hui, ni la santé du citoyen ni l’économie du pays ne sont vraiment préservés. Au contraire, les deux sont malades, à un niveau inquiétant et il est quasi impossible de gérer les deux problèmes en même temps sans conséquences soit en pertes de vies humaines soit en déficits économiques.
Il va pourtant falloir donner un coup de frein au virus qui circule encore trop vite, tout en boostant notre économie pour éviter la faillite qui se profile. Pourtant, pour l’économie on connaît depuis longtemps où sont les problèmes et les solutions existent, mais l’application ne suit pas. L’hésitation n’est plus permise. Il faut faire appliquer la loi partout, aussi bien pour la préservation de notre santé (port du masque et respect de la distanciation et de l’auto-isolement) que dans les zones économiques devenues «quasi autonomes» et échappant au contrôle de l’Etat, comme le bassin minier de Gafsa ou El-Kamour à Tataouine. Ce n’est qu’à ce moment là que l’équilibre sera atteint. Sinon les pertes humaines se compteront bientôt par milliers et celles économiques par milliards.
Cela dit, restons tous solidaire, dirigeants, corps médical et citoyens car l’heure est grave et trouvons ensemble des solutions aux problèmes. Nous vaincrons cette épidémie sans aucun doute.
* Professeur en cardiologie.
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