Alors que la polémique opposant le président de la république Kaïs Saïed et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) bat son plein, le chef de l’Etat reprochant au pouvoir judiciaire de se dérober à ses responsabilités en matière de lutte contre la corruption et le terrorisme, les circonstances de la libération et de la fuite hors de la Tunisie des frères Nabil et Ghazi Karoui continuent d’alimenter les soupçons de complaisance de certains magistrats avec les lobbys politiques et les barons de la corruption, dont les deux magnats de la publicité et de la télévision sont parmi les figures les plus marquantes en Tunisie, au cours de la décennie écoulée.
Par Imed Bahri
Selon nos confrères d’Acharaa Al-Magharibi, citant des sources fiables, les deux frères, Nabil et Ghazi Karoui se trouvent aux Emirats arabes unis depuis plusieurs semaines et plus précisément à Dubaï, où vit Salwa Smaoui, l’épouse de Nabil Karoui.
Les mêmes sources ont également confirmé que Nabil Karoui, candidat au second tour de la présidentielle de 2019, et son frère, le député Ghazi Karoui, continuent de communiquer avec certains membres de leur parti, Qalb Tounes.
Mieux encore (ou pis), les deux frères profitent des avoirs qu’ils ont déposés dans des banques à l’étranger et dont l’origine suspecte avait fait d’objet de poursuites judiciaires pour corruption financière et blanchiment d’argent, lesquelles poursuites se sont mystérieusement perdues dans les méandres d’une justice que beaucoup n’hésitent pas à soupçonner de complicité avec les lobbys politiques, les groupes d’intérêt et les réseaux de corruption.
Les ambiguïtés de la justice tunisienne
Rappelons, à ce propos, que Nabil Karoui a été mis en liberté provisoire, le 15 juin dernier, après 6 mois d’emprisonnement préventif (il avait été arrêté le 24 décembre 2020), dans le cadre de cette affaire. Selon son avocat, Me. Ramzi Ben Dhia, l’interdiction de voyage, dont lui et son frère et associé étaient frappés, avait aussi été levée par la même occasion.
Face à ces évolutions pour le moins douteuses, où la justice a joué un rôle ambigu, prenant des décisions successives aux antipodes les unes des autres, Nabil Karoui ayant été incarcéré et libéré à deux reprises, avant et après la présidentielle de 2019, l’organisation I Watch avait fait part, à la mi-août dernier, et à juste titre, de sérieux soupçons de «falsification délibérée des procédures au profit de l’accusé», tout en déplorant la «politisation de ce dossier» et les «pressions sur les magistrats chargés de l’affaire».
Deux fuyards en cavale
Comme pour donner raison à I Watch, à la fin août 2021, des médias algériens révélaient que les frères Nabil et Ghazi Karoui avaient été arrêtés dans la région de Tébessa sur des accusations d’entrée illégale dans le pays sans passer par les postes frontaliers, avant d’être libérés, dans des circonstances tout aussi douteuses, le 27 octobre. Ils seront vus le 6 novembre, en Espagne, où ils semblent avoir été transférés à bord d’un jet privé spécialement affrété par un homme d’affaires algérien parmi leurs amis. Une vidéo avait alors été postée sur les réseaux sociaux par un citoyen tunisien, qui les montrait en train de se balader en tenue sportive, dans une rue de Barcelone.
Au-delà de l’ambiguïté de la décision de la justice algérienne, qui, on le sait, n’est pas très indépendante du bon vouloir du pouvoir exécutif dans ce pays, tout ce qui entoure les déboires judiciaires des frères Karoui, lesquels étaient libres de leurs mouvements mais ont préféré traverser la frontière de manière illégale, suscite de sérieuses interrogations sur la manière dont l’affaire des frères Karoui a été gérée, dès le départ, par la justice tunisienne, qui n’en sort pas vraiment grandie. Au contraire… Et rien que la gestion de cette affaire apporte de l’eau au moulin du président Saïed dans la guéguerre qu’il livre depuis plusieurs moins avec un pouvoir judiciaire qui, en invoquant son indépendance, croit pouvoir cacher ses carences criardes.
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