Le président Caïd Essebsi, qui semble avoir perdu sa lucidité politique, est en train de tourner en rond, en adoptant la politique de l’évitement. Il est à craindre que la crise soit encore à venir.
Par Salah El-Gharbi
«Ennahdha est attaché à la formation d’un gouvernement d’union nationale sur la base des résultats des élections de 2014 et non en partant de la nouvelle réalité des partis».
Cette déclaration de Ajmi Lourimi, porte-parole du mouvement, qui vient à la suite de la réunion du bureau exécutif du parti islamiste, était attendue et traduit plus que jamais la gravité de la situation politique dans laquelle s’enfonce le pays.
Ennahdha laisse pourrir le fruit
«Le nom du prochain chef de gouvernement sera connu avant l’Aid», déclarait, il y a quelques jours, Saida Garrach, conseillère auprès de la présidence de la république chargée de la société civile, un vœu vite pulvérisé par l’accumulation des difficultés et l’accentuation de la crise politique. Et le responsable de la communication à Carthage, Moez Sinaoui, vient temporiser l’optimisme de sa collègue en déclarant qu’il était «prématuré de se prononcer sur le nom du nouveau chef de gouvernement».
Ainsi, on se demande si le président de la république, Béji Caïd Essebsi, en appelant à la formation d’un «gouvernement d’union nationale», dans l’espoir de faire bouger les lignes dans le pays, n’a-t-il pas ouvert la boîte de pandore qui risque de l’enfoncer davantage dans la crise.
Paradoxalement, l’initiative présidentielle, qui est censée apporter des solutions à la crise, n’a fait que déterrer les contradictions, révéler la fragilité du paysage politique et affaiblir la magistrature suprême.
Abassi et Hammami reprennent du poil de la bête
En effet, contre toute attente, cette initiative vient renforcer le rôle de l’UGTT et propulser la centrale syndicale de nouveau sur le devant de la scène politique, alors que l’objectif tacite de l’initiative était de la raisonner.
Désormais, c’est Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, qui, à travers les médias, expose ses analyses, dicte implicitement ses conditions et prône même une nouvelle initiative. Il est relayé par Hamma Hammami, porte-parole du Front Populaire, qui, de son côté, encouragé par la fragilisation de l’exécutif, monte au créneau et se présente comme une alternative au pouvoir en place.
Pis encore, le projet présidentiel vient de mettre à l’épreuve l’alliance Nidaa Tounes-Ennahdha et le couple Caïd Essebsi-Ghannouchi.
Ce couple, qui avaient la délicate charge d’assurer la stabilité politique du pays, fonctionnait parfaitement tant que l’équilibre des forces était en faveur de Nidaa. Or, depuis l’affaiblissement de ce dernier, le président n’a fait que céder au profit d’un parti islamiste sans cesse revigoré (le changement du ministre des Affaires religieuses, qui était le poil à gratter des islamistes, en est l’illustration), mais aussi impatient de jouer un rôle qui correspond bien à son poids au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), étant désormais le premier parti par le nombre des députés.
Les fanfaronnades du fils de son père
Enfin, cette initiative a été le révélateur des vrais dessous de la crise politique. L’OPA de Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président, sur Nidaa, sa gestion aléatoire des affaires du parti, dénoncée même par ses amis d’hier, ne sont pas étrangères à la situation que vit le pays.
En fait, les fanfaronnades du fils sont en contradiction avec la volonté affichée par le père d’apaiser les tensions et d’offrir une nouvelle dynamique au pays. D’ailleurs, la présence du fils au Palais de Carthage, lors des réunions de concertation pour la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, n’a fait que décrédibiliser davantage l’initiative présidentielle. En témoigne le clash entre Hafedh Caid Essebsi et le secrétaire général de l’UGTT, un incident qui traduit bien le caractère inopportun de cette participation, tout en donnant à l’initiative une connotation pathétique.
Désormais, la marge de manœuvres du président Caïd Essebsi serait très étroite et son pari de redonner un nouveau souffle à l’exécutif semble voué à l’échec tant la crise est profonde. On ne le dira pas assez, son diagnostic reste partiel et le risque de nous retrouver dans la situation de 2013 reste possible tant l’équilibre des forces reste fragile. «Tant que la crise sévit à Nidaa, tant que le pays va mal», une réalité que le président cherche à éluder.
«Caïd Essebsi cherche à sortir par la grande porte», disait l’autre jour, un responsable d’Afek Tounes, parlant de l’initiative présidentielle. S’il ne retrouve pas sa lucidité d’homme politique, il est à craindre que le président soit en train de tourner en rond, en adoptant la politique de l’évitement, que le sentiment paternel lui fasse perdre le capital de confiance dont il jouit jusqu’à maintenant et qu’il ne soit, en définitive, obligé de partir par la petite porte. Et ce serait dommage aussi pour lui que pour le pays.
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