Sommet de Djeddah : Ci-git le printemps arabe !

Le retour de la Syrie à la Ligue des Etats arabes, après en avoir été bannie pendant toute une décennie, marque la fin d’une époque et une parenthèse définitivement fermée, celle du «printemps arabe» que la transition démocratique en Tunisie avait fait vivre, très difficilement et dans la gabegie. Une décennie après la chute de Ben Ali, Moubarak, Salah, Kadhafi et autres Bouteflika, le despotisme arabe reprend du poil de la bête et a encore de beaux jours devant lui. La preuve : certains, sous ces latitudes, se félicitent de sa renaissance et y voient même un progrès.

Par Ridha Kefi

«La Tunisie n’a pas changé malgré les conditions que le pays a subies notamment ces dix dernières années, au cours desquelles le peuple tunisien a démontré son affinité avec le peuple syrien», a déclaré le président syrien Bachar Assad. «Aujourd’hui, suite à ma rencontre avec le président Kaïs Saïed, je suis absolument convaincu du soutien tunisien à la Syrie», a-t-il ajouté dans une déclaration aux médias tunisiens à l’issue de sa rencontre avec Saïed, vendredi 19 mai 2023, en marge du 32e sommet de la Ligue des Etats arabes à Djeddah, en Arabie saoudite.

La despote goûte sa revanche   

«La Tunisie a, à un certain moment, servi de base arrière à des conspirations, non seulement contre la Syrie, mais contre la pensée et l’appartenance arabes; elle a servi de plate-forme pour la diffusion de la pensée obscurantiste dans les différents pays arabes», a encore déclaré le despote syrien, heureux de se retrouver parmi ses pairs et semblables arabes qui l’avaient banni pendant plus d’une décennie.

En parlant de conspirations, Assad fait visiblement allusion aux années de règne des islamistes qui ont facilité l’envoi de jihadistes tunisiens en Syrie pour, espéraient-ils, faire tomber le régime baâthiste, hérité par Bachar de son père Hafedh, aussi sanguinaire l’un que l’autre, le fils ayant dépassé le père dans l’ignominie en se maintenant au pouvoir au prix de millions de morts, de blessés et de déplacés, et qui règne aujourd’hui sur un pays exsangue, détruit et pauvre. Un détail de l’histoire sur lequel tout ce beau monde passe aujourd’hui l’éponge, le cœur léger et la bonne conscience en bonus.

Les mots d’Assad, on l’a compris, marquent la fin d’une époque et une parenthèse définitivement fermée, celle du «printemps arabe» que la transition démocratique en Tunisie a fait vivre, très difficilement et dans la gabegie, jusqu’à la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, et l’accaparement de tous les pouvoirs par le président Kaïs Saïed. Ce dernier s’est d’ailleurs félicité, hier, lors de la poignée de main et de l’entretien avec son homologue syrien du retour de la Syrie à la Ligue arabe, qui intervient après douze ans de «destruction» de ce pays, a-t-il souligné.

Le sommet de la restauration

En accueillant le «sommet de la restauration», Mohammed Ben Salmane, le prince héritier et Premier ministre d’Arabie saoudite, qui dirige son pays avec une main de fer, n’a pas lésiné sur les moyens pour faire du 32e sommet de la Ligue arabe celui de l’instauration de son leadership régional et d’une reconfiguration géostratégique régionale, inaugurée avec le refroidissement des relations avec les Etats-Unis, le rapprochement avec la Russie, la Chine et l’Iran et – Riyad n’étant pas à un paradoxe près – la normalisation des relations avec Israël.

Ce 32e sommet marque aussi, du point de vue de Ben Salmane, qu’il partage à quelques nuances près avec ses homologues du Golfe, l’enterrement du «printemps arabe», qui leur avait donné des sueurs froides en faisant vaciller leurs trônes sous leurs pieds. N’ont-ils pas d’ailleurs dépensé des milliards de dollars pour faire échouer les transitions démocratiques, en finançant notamment les groupes terroristes ayant essaimé dans les pays arabes débarrassés de leurs dictateurs, et notamment en Libye, en Syrie et au Yémen ? En Tunisie, où ces monarchies ont longtemps soutenu Ben Ali et conçu des projets délirants pour l’aider à sortir son pays de la crise économique, n’ont-elles pas changé le fusil d’épaule, à partir de 2011, mis en veilleuse tous leurs engagements antérieurs et mobilisé de gros moyens pour faire échouer la «transition démocratique» ? En Egypte, n’ont-elles pas accueilli avec d’énormes aides financières la restauration de la dictature militaire dès 2013 par Abdelfattah Sissi ?

C’est tout naturellement donc qu’après avoir combattu le despote syrien, par groupes jihadistes interposés, ils lui ont déroulé, hier, le tapis rouge, en lui faisant miroiter la perspective d’une aide pour la reconstruction de son pays détruit. Le cynisme politique dans toute sa splendeur…

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