Au moment où Nidaa Tounes fête ses trois ans d’existence on peut, hélas, se livrer à quelques réflexions amères.
Par Rachid Barnat
A son lancement, en juin 2012, ce parti fut une bouée de sauvetage pour des millions de Tunisiens inquiets de la régression de la Tunisie sous le règne d’une troïka (coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste Ennahdha) à l’amateurisme affligeant, revancharde et qui ne pensait qu’à déconstruire ce que les Tunisiens ont bâti patiemment depuis l’indépendance de leur pays en 1956.
Les Tunisiens étaient aussi déboussolés et perdus face à la masse des partis qu’on leur propose (115 avaient été légalisés après la révolution de janvier 2011!), dont certains étaient mus par des idéologies aussi farfelues que dangereuses, visant souvent la remise en question des acquis de la Tunisie moderne.
Une démocratie au rabais
Ce parti à été une machine très efficace pour la conquête du pouvoir mais il a, ensuite, plus que déçu. La déception des sympathisants est à la hauteur de l’espoir que son fondateur, Béji Caïd Essebsi (BCE), a suscité chez eux et que nous étions très nombreux à avoir vécu lors du baptême de Nidaa Tounes au grand meeting historique de Monastir! D’abord pour avoir admis «une démocratie au rabais» voulue par les Etats-Unis et l’Union européenne (UE), et confirmée par Mohsen Marzouk, actuel secrétaire général de Nidaa Tounes, qui demande aux Tunisiens un «moratoire» pour accéder à la réelle démocratie, et d’admettre un régime consensuelle avec les Frères musulmans… d’au moins 10 ans!
Pourtant, l’impuissance politique et la régression étaient prévisibles suite à la coalition gouvernementale contre-nature constituée par Nidaa Tounes avec Ennahdha!
Mohsen Marzouk, le n° 1 bis du parti: un fervent adepte du rapprochement avec les islamistes.
A-t-on voté et donné une majorité, certes relative, à Nidaa Tounes pour assister à ce que nous voyons aujourd’hui et qui est, pour la plupart de ceux qui ont voté pour lui, totalement inacceptable?
Depuis l’installation du gouvernement Habib Essid, les Tunisiens peinent à voir certaines de leurs aspirations se concrétiser. Beaucoup parmi eux ne comprennent pas sa ligne de conduite qui manque de clarté, n’ayant aucun grand projet structurant pour favoriser l’adhésion des Tunisiens.
Par ailleurs, des lignes rouges viennent d’être franchies et les réactions du gouvernement ne sont absolument pas à la hauteur.
Alliance contre-nature
Comment peut-on laisser Hizb Ettahrir tenir un congrès dans lequel il appelle clairement à lutter contre la constitution, reniant en vrac tout: la démocratie, l’Etat, ses institutions, la république et ses symboles, son drapeau, son hymne national, la nation tunisienne et tous ses acquis… et réclamant la restauration du califat et de la charia?
Or la réaction du gouvernement a consisté en un simple rappel à l’ordre! De qui se moque-t-on?
Ce parti dont on sait clairement qu’il n’accepte la démocratie que provisoirement, le temps pour lui de se faire une place sur l’échiquier politique, affirme que cette notion «occidentale» sera balayée s’il accédait au pouvoir.
Ce parti religieux extrémiste n’aurait jamais du être autorisé. S’il l’a été, c’est suite à un tour de passe-passe entre l’ex-président provisoire Moncef Marzouki et l’ancien chef du gouvernement provisoire Hamadi Jebali, ex-secrétaire général du parti Ennahdha, qui espérait s’en faire un allié politique.
Maintenant la seule solution, si l’on veut éviter que le poison ne se propage, c’est de l’interdire purement et simplement comme une pétition y appelle.
Les chamailleries à l’intérieur du parti sont le signes d’un vrai malaise.
Deuxième ligne rouge franchie et qui conduit à une situation intolérable, c’est l’interdiction ou plus exactement la censure des causeries religieuses de Youssef Seddik à la radio nationale, qui dans les circonstances tumultueuses où tout est remis en cause par ceux qui prétendent tout connaître, donnent une lecture de la «sunna» et surtout du Coran à la lumière des faits historiques. Cette censure a privé les Tunisiens de la grande érudition de cet homme!
Pourtant, les stations radios et les chaînes de télévision nationales n’hésitent pas à propager l’obscurantisme et ses pendant que sont le charlatanisme et la sorcellerie !
Quand on y ajoute la volonté d’arabiser un peu plus l’enseignement, ne voit-on pas que bien que les Tunisiens aient voté pour une société de progrès, le gouvernement met en place tout ce qui va vers une société rétrograde, conforme aux vœux des islamistes qu’il a associé au pouvoir.
Pas étonnant que des intellectuels à l’esprit libre et non partisan, comme Olfa Youssef, se désolidarise de Nidaa Tounes et que d’autres tirent la sonnette d’alarme comme Fethi Ben Slama!
Il faut que la société se réveille et dise clairement à Nidaa Tounes qu’en prêtant la main à cette évolution néfaste, ce parti viole ses promesses; et que quelles que soient les circonstances ou les pressions d’où qu’elles viennent, ses électeurs sont en droit de lui demander des comptes.
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