Sorti miraculeusement indemne d’un grave accident de la route, Rached Ghannouchi traverserait une période de trouble de conscience: il doit cesser d’imposer aux Tunisiens sa fausse lecture de l’islam.
Par Farhat Othman
Tout comme la gauche n’a pas le monopole du coeur, les modernistes n’ont pas celui de la conscience; cela semble se confirmer après l’accident de la route de Rached Ghannouchi, président du mouvement islamiste Ennahdha, dimanche dernier, qui se réveillerait enfin à la nécessité d’une action politique qui soit éthique.
Une crise de conscience
On se rappelle, au lendemain de l’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaid, le 6 février 2013, comment le chef du gouvernement de l’époque, Hamadi Jebali, a eu un sursaut de conscience lui commandant d’agir éthiquement en proposant, sans consulter son parti, la constitution d’un gouvernement de compétences. On connait la suite : son propre parti a fait capoter son projet et l’a limogé pour le remplacer par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Ali Larayedh, qui est, soit dit en passant, le premier responsable, politiquement du moins, de ce premier assassinat politique en Tunisie.
Il semblerait que M. Ghannouchi, qui est sorti miraculeusement indemne d’un grave accident de la route, vivrait une même période de trouble de conscience, découvrant ce qu’il y a d’immoral dans son action actuelle, bien contraire à une saine compréhension d’un islam foncièrement humaniste et tolérant.
Ainsi, l’accident, qui n’a pas occasionné — heureusement pour lui — le moindre dommage physique, est en passe de constituer un événement majeur en termes politiques dans le pays.
En effet, il relèverait, aux yeux de M. Ghannouchi, non seulement du prodige divin, mais aussi et surtout d’un avertissement de la Providence. Celle-ci veut bien être bienveillante avec lui, mais à la condition qu’il cesse instamment de caricaturer l’islam et de le violer ainsi qu’il le fait avec son parti.
J’en ai déjà parlé*, les saints soufis qui veillent sur ce pays par le biais de celui qui fut nommé à juste titre sultan de la ville de Tunis et salut des innocents brimés, Sidi Mehrez Ibn Khalaf, ont adressé un avertissement au cheikh Ghannouchi. Ils l’exhortent à conformer sa pensée et son action à une interprétation de l’islam qui soit enfin saine. Quelle est-elle?
Un islam des libertés
D’après le saint soufi, l’islam tunisien est particulier; il n’est pas intégriste, surtout pas salafiste; il est liberté et humanité. Aussi, nul n’est digne de l’islam en cette terre ardente qu’est la Tunisie s’il n’honore pas les principes cardinaux de l’islam que sont la justice et la liberté du fidèle à pratiquer sa foi sans la moindre contrainte en dehors de celle de sa conscience librement assumée.
Cela suppose de cesser d’imposer aux Tunisiens une fausse lecture de l’islam, quand bien même elle se prétend issue de l’effort des anciens, car un tel effort est périmé et il importe d’urgence d’en inventer un autre qui soit en conformité avec les visées de la Loi religieuse et les exigences de notre époque de droits et de libertés, surtout dans la vie privée.
Il est temps donc d’en finir avec la caricature judéochrétienne de l’islam qui brime les innocents par le biais du succédané d’une église qui n’y existe pas, des gourous qui sont autant de prêtres y imposant leur loi comme les idoles abolies en islam.
Car personne en islam pur ne peut s’immiscer entre Dieu et sa créature, ni pour lui dire ce qu’il doit faire, ni pour lui interdire ce qu’il ne doit pas faire. Le seul devoir du fidèle en islam authentique est de savoir que ce qu’il fait est sous le regard de Dieu qui l’accepte, s’il le veut, ou le refuse, quels que soient ces actes; et personne d’autre que Dieu ne doit s’y substituer sinon il devient associationniste, suprême crime en notre religion.
Le saint soufi rappelle d’ailleurs une constante de l’islam vrai, à savoir que Dieu est libre d’accepter que le fidèle se comporte de façon impie, car c’est ainsi qu’il l’éprouve et lui permet de faire l’effort suprême (jihad akbar) pour aboutir à purifier sa conscience; ce qui demande du temps et suppose les erreurs. Aussi, chez les soufis, Dieu préfère-t-il un impie à un hypocrite, car il ne se joue pas de l’islam ni n’en fait commerce.
Une foi à prouver
Pour cela, Sidi Mehrez appelle M. Ghannouchi à prouver sa bonne foi à servir l’islam en Tunisie soufie et ce en agissant sans plus tarder pour l’abolition des lois scélérates qui sont héritées de la dictature, et datent même du temps de la colonisation.
Il l’appelle aussi et surtout à le faire de manière spectaculaire dès le prochain ramadan en osant rappeler la totale liberté des fidèles à jeûner ou à ne pas jeûner et des commerces à ouvrir ou à ne pas ouvrir, ce qui suppose la liberté du commerce d’alcool, nullement interdit en islam qui ne prohibe que l’ivresse.
Cela se comprend parfaitement, le sacré en notre religion n’étant pas matériel, mais moral; il n’est pas dans l’interdiction venant de haut ni dans l’empêchement à pratiquer le mal, mais d’un impératif moral venant de soi comme un acte libre qui peut supposer de frayer avec le mal. Car tout est relatif, le mal pouvant être un bien et le bien devenant mal; c’est l’usage qui en est fait par le croyant qui détermine sa destination.
C’est cela l’islam que M. Ghannouchi et son parti ont dénaturé à ce jour et que la crise de conscience qu’il vivrait à la suite de son accident miraculeux amènerait à répudier. Pour son salut et celui de la Tunisie. C’est tout le mal qu’on souhaite à notre cheikh enfin réveillé à l’impératif catégorique de l’éthique, faisant enfin de la politique politicienne une poléthique !
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