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Ennahdha, l’islam politique et le putsch raté en Turquie

AKP-Ennahdha

Erdogan vient de réussir l’exploit de survivre à un coup d’Etat marqué par l’amateurisme, mais, n’en déplaise aux islamistes tunisiens, ce succès n’est pas synonyme de «triomphe de la démocratie».

Par Salah El-Gharbi

Autant l’attaque terroriste de Nice, jeudi dernier, a suscité l’indignation générale, en Tunisie, autant la tentative de coup d’Etat raté en Turquie, survenu le lendemain, a été clivante, ébranlant le laborieux consensus politique, entre islamistes d’Ennahdha et «laïcs» de Nidaa Tounes, auquel nous assistons depuis les législatives de 2014.

Vendredi soir, au moment où les anti-islamistes cachaient mal leur joie en assistant, en direct, sur les écrans des télés, à la chute du pouvoir de l’arrogant Recep Tayyip Erdogan, les dirigeants et les militants du parti islamiste Ennahdha étaient en train de passer un très sale moment… Que de sueurs froides ont dû essuyer les cadres et les partisans du mouvement islamiste tunisien avant que la situation se décante avec le rétablissement de l’autorité du pouvoir en place!…

Coup d’Etat raté ou coup de bluff réussi ?

D’ailleurs, le lendemain, samedi, la question du putsch raté en Turquie a été, à la dernière minute, inscrite à l’ordre du jour du Conseil de la Choura, réuni à Hammamet, reléguant au second plan les questions portant sur le «gouvernement d’union nationale» et sur la démission du Premier ministre Habib Essid…

Depuis, les déclarations triomphalistes des leaders islamistes se multiplient saluant «le triomphe de la légitimité», celui de «la volonté du peuple turc et de ses institutions démocratiques». Les intellectuels islamistes s’en mêlent aussi. Il faut se féliciter du «rétablissement de la légitimité des urnes», déclare Slaheddine Jourchi, journaliste proche de cette mouvance.

Le soulagement était tellement immense que certains militants se sont assemblés devant l’ambassade turque, brandissant le drapeau du pays laïc d’Atatürk et réaffirmant leur soutien à la république en voie d’islamisation d’Erdogan.

Les inquiétudes des islamistes tunisiens

Si les islamistes tunisiens, à l’image de leurs «frères» d’Orient, s’étaient inquiétés à propos du sort d’Erdogan et celui du Parti de la Justice et du Développement (AKP), c’est que, pour eux, l’enjeu est capital. La chute du grand maître d’Ankara signifierait la perte d’un précieux soutien sur lequel compte le Mouvement des Frères musulmans, dont Ennahdha fait partie malgré ses dénégations, pour étendre son pouvoir, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

En fait, le succès du coup d’Etat aurait été un coup dur pour cette mouvance qui venait de perdre l’Egypte et qui tenait à garder la Turquie sous son influence. Il y va de l’avenir de l’«islam politique» dans le monde entier.

Toutefois, alors que les islamistes jubilaient, le camp adverse ruminait sa déception. En mauvais perdants, les déçus de l’échec du coup d’Etat, crient à la «mascarade», à la «machination» orchestrée par Erdogan qui chercherait à consolider son pouvoir et à se débarrasser de ses adversaires au sein de l’armée, de la justice, de l’administration publique et même du monde académique et des médias. Comme toujours, la «théorie du complot» vient au secours d’une intelligence à bout d’inspiration, échafauder des scénarios peu probants, comme si un coup d’Etat, qui plus est fomenté par une redoutable armée comme celle dont dispose la Turquie, ne pouvait échouer.

Le pire est encore à venir

Nul ne doute que l’échec des putschistes turcs rende un service inespéré à Erdogan, au moment où ce dernier pataugeait politiquement, à l’intérieur comme à l’extérieur de son pays. Le putsch raté, c’était du pain béni pour que l’homme fort de la Turquie puisse renforcer son autorité, domestiquer l’armée, «assainir» la justice et faire taire toute voix dissonante, réalisant ainsi son rêve de devenir le futur «Grand Sultan du Califat Ottoman».

Erdogan se maintient pour longtemps. Trop longtemps sans doute. Que les «frères» se rassurent. A son ombre, ils vont continuer à couler de beaux jours. Mais, jusqu’à quand ?

Certes Erdogan vient de réussir un exploit, celui de survivre à un coup d’Etat marqué par l’amateurisme, mais, n’en déplaise à nos islamistes, ce succès n’est pas forcément synonyme de «triomphe de la démocratie». Car cet homme est tout sauf un démocrate, à moins que ces gens aient une perception particulière de la démocratie. Ces zélés oublient, manifestement, que sous l’autorité de cet homme, nous assistons depuis des années à la multiplication des atteintes aux droits de l’homme, à l’islamisation rampante de la société turque, à l’autoritarisme grandissant d’un homme qui cherche à accaparer tous les leviers du pouvoir et à faire taire définitivement toute forme d’opposition à sa soif de puissance et de grandeur… Au pays des Ottomans, le pire est peut-être encore à venir.

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