Il faudra patienter avant de fonder un jugement sur Youssef Chahed en tant que chef de gouvernement, mais on peut déjà se féliciter pour le choix de la jeunesse.
Par Nadya Bchir
Nous l’avons souvent rêvé, envié aux autres, appelé de tous nos voeux et désiré du plus profond de nous-mêmes: un chef de gouvernement jeune ! Il aura suffi de voir défiler le bal des vétérans à la tête du pouvoir en Tunisie.
Des décennies durant, le privilège était à l’expérience : ceux qui nous gouvernent devaient faire preuve d’un minimum d’expérience en matière de pouvoir et de gouvernance, alors gage du succès d’un gouvernement. Tant pis si, un jour, des jeunes se sont soulevés pour revendiquer le droit à être mis à contribution dans la prise de décisions. Depuis le 14 janvier 2011, ceux qui se sont succédé au poste du chef de gouvernement, toutes tendances politiques confondues, n’avaient rien de jeunes, à l’exception peut-être de Mehdi Jomaa qui avait, néanmoins, dépassé la cinquantaine.
Un quadra à la Kasbah
Et nous autres citoyens, contemplons ce qui se produit sous d’autres cieux encore plus bleus et plus dégagés et pensons à une question quasi existentielle en Tunisie : pourquoi n’aurions-nous pas un chef de gouvernement jeune qui pourrait être à même de comprendre nos ambitions et notre vision du monde ? Pourquoi n’aurions-nous pas droit à notre Justin Trudeau ?
Vœu exaucé ou réponse à l’appel du peuple, voilà que le président de la république a annoncé, lundi, avoir choisi un jeune pour la formation d’un nouveau gouvernement après le retrait de la confiance, deux jours plus tôt, à celui d’Habib Essid. Et c’est à Youssef Chahed que reviendra le privilège et la lourde responsabilité de devenir notre «Trudeau» national ! Mais est-ce réellement le bon choix? Saura-t-il être LE chef de gouvernement fédérateur, fort et efficace tant attendu? Saura-t-il sortir pour de vrai le pays d’une crise devenue chronique ?
Youssef Chahed a d’abord été aux premières loges des élections de 2014 dans l’écurie de Nidaa Tounes et a contribué à porter le candidat du parti, Béji Caïed Essebsi, au Palais de Carthage. Il a ensuite vu ses efforts récompensés par le poste de secrétaire d’Etat à la Pêche dans le premier gouvernement Habib Essid, avant d’être rapidement pour ainsi dire «repêché» et promu au poste de ministre des Affaires locales, portefeuille clé créé au deuxième gouvernement Habib Essid.
Jusqu’ici tout allait bien pour Youssef Chahed : un homme connu pour ses compétences, son intégrité, et en l’occurrence pour son patriotisme et son engagement. Son jeune âge, 40 ans et des poussières, est avancé comme un atout majeur le privilégiant dans son ascension fulgurante au pouvoir : il est, en effet, poussé par les jeunes et même les moins jeunes, lassés d’être aiguillonnés et gouvernés par des octogénaires venus d’une autre époque.
Youssef Chahed connaît, aussitôt son nom fuité, un élan de solidarité et d’appui d’une frange conséquente de l’opinion publique. On applaudit d’abord le critère de la jeunesse comme si l’on revenait de bien loin !
Jusque là, les rares réalisations de Youssef Chahed à ses différents postes ont trouvé des échos auprès de ses confrères, de son chef et de son public. Même si, faut-il clairement le souligner, beaucoup reste à faire au niveau des affaires locales. L’on se demande, d’ailleurs et à juste titre, si la relève de Youssef Chahed sera dûment assurée, dans ce secteur? Mais cela est une autre paire de manche.
Pour l’heure, tous les projecteurs sont braqués sur l’éventuel nouveau chef de gouvernement et les questions quant à ses compétences, sa force de caractère et ses capacités de gestion d’une équipe gouvernementale fusent de toutes parts depuis l’annonce de sa candidature par le Palais de Carthage. Car entre un simple ministre et un chef de gouvernement, la différence est de taille et les responsabilités prennent d’autres proportions.
La jeunesse contre l’expérience
Youssef Chahed saura-t-il alors être à la hauteur des responsabilités qui l’attendent et qui sont, historiquement, singulières?! Saura-t-il également s’entourer de véritables compétences dont le souci premier est l’intérêt général, à mille lieux des calculs partisans et individuels? Aura-t-il une certaine marge de liberté dans la composition de son gouvernement sans être guidé et commandé ni par le président Béji Caïd Essebsi ni par le «président bis» Rached Ghannouchi? Saura-t-il dire non haut et fort sans reculer d’un iota en dépit des pressions et des chantages? Saura-t-il avoir la main moins tremblante que le fut celle d’Habib Essid pour faire barrière à ceux qu’animent les intérêts individuels et les ambitions personnelles?
Certains diront : non ! Youssef Chahed n’a pas le bon profil pour être le chef de gouvernement approprié à la situation difficile actuelle dans le pays. Ce n’est pas faute d’avoir les compétences requises en raison de son jeune âge, car l’affaire dépasse le simple savoir-faire et tient aussi à une capacité de persuasion, à un doigté dans la gestion des conflits et à une certaine force intérieure.
Il est devenu limpide, aujourd’hui, que celui qui doit reprendre les rênes du pouvoir à la Kasbah doit pouvoir se mesurer ou tenir tête aux deux poids lourds de la politique en Tunisie : Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi.
Youssef Chahed saura-t-il dépasser les querelles partisanes puériles qui entravent le travail gouvernemental et trouver les consensus nécessaires pour éviter que la machine soit grippée?! Saura-t-il faire appliquer la loi pour rétablir l’Etat de droit et le respect des règles civiques!
Evidemment, il faudra patienter avant de fonder un jugement sur Youssef Chahed en tant que chef de gouvernement, en espérant qu’il sera confirmé à ce poste. On est cependant autorisé à nous féliciter pour le choix de la jeunesse, même si nous ne nous faisons pas d’illusion. Et pour cause : n’est pas Justin Trudeau qui veut!
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