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Dépénalisation du cannabis : Il ne suffit plus de parler, agissons !

Lotfi Zitoun, proche conseiller de Rached Ghannouchi, ose se déclarer pour la dépénalisation totale du cannabis**. Vérité ou simple manoeuvre politicienne?

Par Farhat Othman *

S’il s’agit d’une simple manipulation, ce ne serait pas moins celle d’un parti qui sait pertinemment devoir lâcher du lest sur les questions symboliques avec la nouvelle donne dans le monde, désormais moins favorable à l’islam incarné jusqu’ici par son parti, Ennahdha.

C’est aussi la preuve de la haute capacité manoeuvrière du parti islamiste, bien conseillé au demeurant, qui sait simuler et dissimuler, anticipant et usant de la politique d’affichage, mais sans rien faire de concret.

Inertie du camp supposé progressiste

Il n’empêche qu’une telle attitude est payante face à l’inertie du camp supposé progressiste, car elle fait passer le parti islamiste pour être ce qu’il n’est pas, ne serait-ce que parce qu’il ne traduit pas ce qu’il dit en actes concrets alors que son poids au parlement le lui permet et le lui impose même, au moins par pure logique.

Aussi, cette énième sortie d’une aussi éminente figure du parti, venant après celle d’une autre figure du parti visitant hier une brasserie, la députée Maherzia Laabidi en l’occurrence, appelle à l’impérative nécessité d’une action urgente, non seulement du parti islamiste, mais aussi de la part des autres composantes politiques du pays, se voulant démocrates et libérales, et surtout de la part de la société civile.

Il est patent qu’en Tunisie, objectivement et au-delà des calculs politiciens, ce n’est plus nécessairement le parti islamiste qui bloque actuellement tout progrès dans le domaine des libertés.

De fait, nonobstant le degré de sa sincérité dans ce qu’il dit, il a le talent fou de savoir laisser faire le sale boulot par ses supposés ennemis qui se retrouvent, sans s’en rendre compte, au service de la stratégie islamiste consistant à maintenir la législation scélérate de la dictature en l’état par manque d’initiative de leur part.

Aujourd’hui, en matière de drogues douces et hier en matière d’alcool et avant-hier sur l’article 230 du Code pénal, Ennahdha joue sur du velours, s’affichant plus libéral que les plus libéraux, même si ce n’est qu’en théorie et de l’esbroufe. N’est-ce pas ce que commande la pratique politique à l’antique où il sied de jouer au renard?

Alors, pourquoi ne pas être encore plus malin qu’Ennahdha et forcer à agir franc jeu celui qui se prétend malin? Car sur le terrain législatif, par le vote, le parti islamiste sera bien obligé d’agir et non de manoeuvrer et mettre bas son éventuel masque de parti libéral et démocratique !

C’est bien beau de la part de M. Zitoun de commencer ainsi son billet : «Le débat sur l’abrogation de la loi 52 en Tunisie alimente en ce moment les médias tunisiens. Si le projet de loi prévoit de renforcer la prévention, il n’exclut pas la sanction pénale. C’est, à mon avis personnel, une grosse erreur.»

C’est même magistral de le terminer de la sorte : «Il est aujourd’hui de notre responsabilité de dirigeants de dépénaliser purement et simplement la consommation de produits aujourd’hui illicites et de nous concentrer sur d’autres sujets prioritaires comme l’éducation ou le travail.»

Mais il sera assurément bien plus magnifique de tenir le même discours au parlement, et ce à l’occasion d’une initiative législative.
Nécessité de légiférer

M. Zitoun et son parti seront donc bien plus crédibles d’agir sur le plan législatif. Ce qu’impose le propos du conseiller de Rached Ghannouchi, s’il est honnête, est de déposer au plus vite un amendement au projet de loi du gouvernement sur le cannabis dans le sens de son billet et d’inviter le bloc parlementaire islamiste à le voter.

C’est aussi ce que doivent faire les démocrates s’ils veulent prendre le parti islamiste à son propre jeu ! Qu’ils osent donc prendre l’initiative d’un tel amendement !

Bien mieux, ils ont intérêt à agir pareillement sur tous les sujets sensibles invitant les parlementaires, en visant particulièrement ceux d’Ennahdha, à oser abroger tous les textes illégaux de la dictature et du protectorat, tels ceux relatifs à la consommation et au commerce d’alcool et à l’homophobie, mais aussi et surtout à l’inégalité successorale.

Pulvériser le dogmatisme religieux

Les militants de la société civile ont, de même, intérêt à arrêter de se limiter à ne faire que s’agiter sur des questions secondaires, comme cet article bien mineur du Code pénal qu’est le 227 bis, pour se concentrer sur l’essentiel, ce qui est de nature à pulvériser le dogmatisme religieux en s’attaquant à la racine aux sujets les plus sensibles.

Qu’ils proposent donc leurs propres projets de loi sur les matières précitées au lieu de les attendre en vain de la part d’un gouvernement impuissant ou des partis réticents ! Qu’ils les défendent dans les médias et ils finiront par les imposer aux députés ! C’est cela le nouvel esprit du militantisme de l’âge des foules qu’est notre époque !

Seules les lois sont en en mesure de faire avancer les choses en Tunisie et démasquer, le cas échéant, les saltimbanques et les faussaires de la politique. Mais qui sont-ils au vrai ?

Force est de noter qu’on ne peut plus dire aujourd’hui que nos religieux sont nécessairement les vrais ou les seuls obstacles aux libertés. En effet, Ennahdha n’a plus le choix désormais que de jouer le jeu des libertés. Aussi faut-il oser les projets de loi et Ennahdha forcément suivra ! Ce sera l’islam tunisien qui triomphera; ce sera aussi le triomphe de la démocratie. Stop donc au laïcisme qui est un dogmatisme intégriste, du salafisme profane !

* Ancien diplomate et écrivain, auteur de ‘‘L’Exception Tunisie’’ (éd. Arabesques, Tunis, 2017).

** Lotfi Zitoun : ‘‘A propos de la Loi 52 : Envoyer un signe de confiance à notre jeunesse’’. 

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