Les policiers tunisiens exigent d’être protégés par une nouvelle loi spécifique.
Ce n’est pas une nouvelle loi scélérate qui protégera les sécuritaires, mais la reconnaissance des libertés et des droits des citoyens, rétablissant la confiance qui leur manque auprès d’eux.
Par Farhat Othman
La dernière agression contre des agents de sécurité devant le parlement tunisien et la relance par les syndicats du projet controversé de répression des atteintes contre les forces armées sont importantes à plus d’un titre. Surtout, cela rappelle cruellement l’urgence d’éradiquer le terrorisme des lois scélérates de la dictature encore en vigueur étant donné qu’elles sont la source véritable des manifestations dramatiques que nous vivons, constituant un terrorisme mental qui est à l’origine du terrorisme physique.
Symbolique de l’agression du Bardo
Le plus récent drame du Bardo est symbolique déjà par le lieu choisi, siège du parlement, mais aussi par le profil de l’agresseur qui semble avoir agi de sa propre initiative. Loup solitaire ou pantin téléguidé, il n’empêche qu’il avait un cerveau lessivé, téléguidé non seulement par la logomachie habituelle des terroristes, mais aussi par l’environnement liberticide où il vit.
C’est un jeune parmi tant d’autres qui n’a plus pratiquement aucun droit à vivre sa vie librement comme la quasi-totalité des jeunes de ce pays, à l’exclusion d’une jeunesse dorée relevant, avec la minorité privilégiée du pays, d’une autre galaxie.
Privée de tout, la jeunesse majoritaire du pays n’a plus rien à perdre et est tentée par les excès de tous genres; or, la législation scélérate du pays — cet héritage de la dictature et du protectorat, toujours en vigueur — l’y incite.
C’est bien à ce niveau que réside la plus importante leçon à retenir de la symbolique du dernier acte terroriste, bien plus que ce que certains spécialistes de la matière ont pu annoncer, à savoir que ce serait une manifestation de désarroi des terroristes.
Le terrorisme ayant pour vocation de cultiver le désarroi, peu importe s’il est, lui-même, en désarroi ou non; car ce qui ne le tue pas le renforce, le rendant même encore plus cruel. On sait parfaitement que l’animal aux abois est le plus dangereux. C’est pareil pour le terroriste qui, déjà, n’a rien à perdre puisque la mort est son but, aussi bien à se donner à lui-même qu’à semer autour de lui.
La vraie symbolique du dernier forfait du Bardo est donc dans la persistance des causes amenant à s’attaquer aux forces de l’ordre. L’agresseur et d’autres jeunes saluant l’agression le disent bien — et pour une fois, hélas, ils ont raison : une haine diffuse, déclarée ou tue, pour les agents de l’ordre est dans la société, datant de la dictature. C’est qu’ils sont assimilés, à tort ou à raison, à l’État, y compris l’actuel, perçu comme un pur prolongement de l’ancien régime, donc une dictature légale.
Or, que peut-on rétorquer de sérieux à une telle terrible affirmation du moment que la législation scélérate de la dictature déchue est toujours en vigueur et qu’on cherche même à aggraver ! C’est en son nom qu’on brime les jeunes, y compris les plus pacifistes parmi eux, ceux qui font l’amour, le sexe, surtout pas la guerre. Et on les pourchasse ! Et on les emprisonne!
Comment donc les empêcher, ne serait-ce que par désespoir de cause de partager ou d’être pour le moins sensibles aux propos haineux des terroristes à l’égard des agents de l’ordre, doubles victimes, des lois scélérates et d’une telle fausse opinion sur eux?
Absurdité de l’attitude des sécuritaires
La question essentielle est bien de savoir comment rétablir la confiance nécessaire entre le peuple et les forces censées être à son service pour le protéger, qui s’en prennent aussi à tous ceux qui n’ont rien à voir avec le terrorisme ? Car tout autant qu’aux terroristes, elles s’en prennent aussi à qui cherche juste à circuler librement, y compris hors du pays — ce qui son droit —, ou qui assume sa condition humaine, satisfaisant sa pulsion sexuelle, ou qui grille un joint dont on a prouvé la nocivité moindre par rapport au tabac, ou qui noie juste sa détresse dans l’alcool !
Il faut bien se rendre à l’évidence qu’on ne peut pas mettre un policier derrière chaque citoyen pour le surveiller afin de l’empêcher de mal agir; c’est, de plus, contraire à la mission du sécuritaire qui est de protéger la libre action du citoyen dans le cadre de ses droits et libertés. Par contre, il faut prendre conscience qu’on peut parfaitement mettre un citoyen — et même plusieurs — derrière chaque policier pour le protéger.
Cela est possible dans un pays où les citoyens jouissent parfaitement de leurs droits et libertés; car ils y tiennent et les protègent par l’aide et la protection qu’ils apportent alors spontanément à ceux qui les garantissent, c’est-à-dire les sécuritaires qui ne sont plus contre eux, mais avec eux, à leur service et celui de leurs droits et libertés.
Voilà ce qu’il faut faire : renforcer les droits et libertés des citoyens en abolissant les lois scélérates et non en en réclamant d’autres aussi scélérates ! Or, nos sécuritaires, au lieu de veiller à assainir leurs rapports avec les citoyens, les aggravent en exigeant le renforcement des pouvoirs exorbitants dont ils bénéficient déjà dans les faits.
S’ils entendent vraiment garantir sérieusement leur sécurité, qu’ils exigent plutôt l’abolition de la véritable cause de l’animosité à leur égard des citoyens : la législation de la dictature ! Cela aidera à en faire de véritables forces républicaines de sécurité, protégeant les citoyens et non les brimant comme c’est le cas aujourd’hui à cause de telles lois honteuses, devenues illégitimes qui plus est.
Faire des ordres du désordre actuel
Remettre de l’ordre dans le pays ne signifie pas revenir à l’autoritarisme des temps passés; ce n’est plus possible, du moins pas aussi facilement ou sans drames comme avant. Il nous faut faire du désordre actuel des ordres (dés-ordre) en libéralisant la société et pas seulement son économie. C’est un libéralisme en termes de lois qui manque au pays livré à un capitalisme sauvage allié à un islam de la jungle, car intégriste, donc faux islam.
Remettre de l’ordre dans le pays signifie, par exemple, sortir de la confusion des valeurs qui tolère un parti négationniste des principes fondamentaux de la République. Cela veut dire surtout consacrer par la loi la fin de la lecture erronée de la religion, tant en matière de jihad armé, qu’il faut oser déclarer clos, qu’en matière de libertés privées en abolissant sans plus tarder tous les textes qui les nient au prétexte de la morale religieuse, et ce en commençant par le retrait des circulaires illégales, toutes les circulaires, ce qui est le plus facile à faire, oeuvre d’un arrêté ministériel.
Par ailleurs, au lieu de se réunir d’urgence pour examiner un projet de loi honteux, formalisant une immunité de plus violant le droit, le parlement doit le faire en vue d’abolir les lois de l’ancien régime les plus indignes. Car les séculaires bénéficient suffisamment de protection de la part de la loi pénale et ne leur manque que la confiance faisant défaut de la part des citoyens. Or, elle n’existe pas du fait de l’arsenal répressif en vigueur que les sécuritaires appliquent ainsi à leurs dépens.
C’est ainsi que se fera véritablement la lutte contre le terrorisme qui est multidimensionnelle, étant à la fois culturelle, politique et financière avant d’être sécuritaire, et bien plus en termes de renseignements que de lois d’immunité et de répression. Et on le sait bien : le renseignement le plus fiable est celui qui bénéficie de la complicité populaire afin que le terroriste n’y soit plus insaisissable étant, du fait de complicités, conscientes ou inconscientes, tel un poisson dans l’eau.
Assurément, évoquant la dimension culturelle, nous pointons du doigt nos religieux qui doivent changer enfin de discours en osant déclarer illicite le jihad mineur, car il n’est de licite en islam que le Jihad majeur. Et pourquoi ne pas voter une loi en ce sens en ces moments tragiques ? C’est ainsi qu’on agira à la source du terrorisme mental, cause du banditisme qu’il implique au nom d’une religion violée en ses fondements ? Ainsi démontreront les religieux leur adhésion à la démocratie !
S’agissant des sécuritaires qui menacent de ne plus assurer la protection des députés et des politiciens, il serait plus sensé de leur part de mettre une telle menace à exécution, non du fait que les députés et les politiciens ne se décident pas à voter l’absurde nouvelle loi scélérate qu’ils revendiquent, mais plutôt s’ils n’abolissent pas urgemment celles qui sont la cause et l’effet du terrorisme mental et physique nourrissant les actes de violence et de haine les ciblant.
C’est ainsi et seulement ainsi, avec des citoyens recouvrant leur dignité en retrouvant leurs droits et libertés spoliés bien que reconnus par la constitution, que se rétablira la confiance entre le sécuritaire et le peuple. Essentielle, elle sera alors sa meilleure protection, lui permettant de retrouver sa place héros de dans le cœur des masses, s’y retrouvant tel ce poisson dans l’eau qu’il doit être, protecteur du droit de tout citoyen de vivre librement. N’est-ce pas la vraie mission du sécuritaire?
* Ancien diplomate, écrivain.
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