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Risque médical dans les cliniques privées: Est-ce une fatalité?

Pour réduire les risques médicaux, il convient de durcir les contrôles au sein des cliniques privées, afin d’y pérenniser le respect de la sécurité des patients.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le problème du respect des règles et des normes de l’hygiène médicale se pose dans tous les établissements de soins en Tunisie. Il y a quelques semaines, une affaire avait fait la une des médias, celle d’une patiente ayant bénéficié, dans un service d’un grand hôpital public connu, d’une greffe rénale et qui avait extériorisé le greffon implanté à la suite d’une infection nosocomiale. Le cas avait eu des suites administratives et même politiques puisque le renvoi du directeur général de l’hôpital avait suscité une levée de boucliers telle, parmi le corps médical et paramédical, que l’autorité de tutelle avait jugé plus sage de revenir sur sa décision.

L’exposition non justifiée au risque médical

L’opinion publique, parfaitement informée des difficultés actuelles de l’Etat pour financer l’institution publique, évalue donc parfaitement les risques auxquelles elle pourrait s’y trouver exposer.

Par contre ce risque est généralement minoré dans les centres de médecine privée, et même complètement ignoré, alors qu’il y existe incontestablement.

Il existe en fait plusieurs types de risques, ceux qui sont inévitables parce que intrinsèquement liés aux techniques médicales et aux moyens utilisés conformément aux données de la science, et ceux gérables au prix du respect de certaines normes, en particulier celles de compétence, et d’hygiène, et dont on peut considérablement réduire la probabilité de survenue.

Théoriquement, lorsqu’un médecin entreprend la réalisation d’un acte médicochirurgical dans une clinique, c’est que sa compétence est reconnue par la structure ordinale. En réalité les choses ne se passent pas toujours ainsi, il y a un médecin généraliste qui prétend maîtriser la coronarographie et qui opère sous la responsabilité d’un cardiologue dont il est à la fois l’ami et le pourvoyeur régulier en malades, souvent originaires d’Afrique Subsaharienne, qui ignorent donc à qui ils ont véritablement affaire.

Il est vrai qu’en cardiologie, comme dans les affaires, l’amitié et l’intérêt vont souvent de pair. C’est là un exemple d’exposition non justifiée à un risque médical, et même de faux et usage de faux, puisque le rapport est contresigné au nom du cardiologue. Pour des raisons économiques, pourtant, on accepte toujours de fermer les yeux dans l’établissement en question, où naturellement, l’omerta demeure de rigueur relativement à un sujet aussi sensible.

Dans les années 90, sous Ben Ali, un autre établissement avait fait sa popularité auprès de certains médecins qui y avaient acquis de fausses réputations en faisant opérer leurs patients anesthésiés par des personnes compétentes et en s’attribuant le mérite de l’acte salvateur au réveil. Ceci pour dire que contrairement à ce que l’on pense, la compétence ne va pas de soi. Mais une telle manière d’agir a développé chez le public un réflexe d’autodéfense que l’on qualifierait du syndrome du professeur.

Le risque médicochirurgical est lié à des facteurs humains ou techniques.

Le risque lié aux défaillances humaines ou techniques

Ce que les gens ignorent c’est qu’un bon nombre de professeurs se font eux-mêmes aider pendant les opérations, si ce n’est piloter, par leurs élèves, ou leurs amis, souvent les véritables détenteurs de la compétence.

Il fallait néanmoins évoquer la question de la compétence non pas pour jeter la pierre mais parce que, qu’on le veuille ou non, elle contribue d’une manière significative à accroître le risque médicochirurgical, par exemple le jour où obéissant à des considérations humaines, la sommité décide de se passer de toute aide. Et cet aspect du problème demeure bien évidemment méconnu du public, et naturellement en cas d’accident, de la Justice, pour les raisons que l’on devine.

A côté de cela, il y a bien évidemment le risque lié aux défaillances techniques, et à l’hygiène. Dans les années 90, toujours durant l’époque bénie de Ben Ali, une panne du courant électrique concomitante à celle du générateur de secours avait contraint un grand chirurgien d’un hôpital parisien, venu inaugurer la chirurgie cardiaque dans un service tunisien, à une expérience périlleuse qui lui avait fait passer l’envie d’accepter de collaborer ultérieurement à tout événement de ce genre; en particulier parce qu’il y avait perçu de la malveillance.

Mais en principe, il existe un cahier de contrôle et d’entretien, dont au prix d’une somme conséquente, l’établissement se décharge chaque année de la responsabilité de l’entretien sur le fournisseur. Et généralement, et heureusement, les défaillances techniques demeurent rarissimes.

Quid des règles d’hygiène pas toujours respectées ?

Par contre il n’en est pas de même sur le plan du respect des règles de l’hygiène, qui demeure crucial autant en chirurgie qu’en réanimation. Et là tout dépend de la conscience de la personne, quoique l’omniprésence des caméras rende théoriquement le contrôle et la détection des fautes plus aisée.

Il y a quelques années une infirmière avait rempli sa seringue à travers le plastique (évidemment non stérile) d’une pochette de sérum. La semaine dernière, une autre avait ramassé le masque à oxygène tombé à terre d’une patiente, et le lui avait replacé sur le nez.

Enfin, que dire du nettoyage des locaux? Récemment une accompagnante issue du domaine signalait comment une ouvrière préposée au nettoyage travaillait au niveau des couloirs puis pénétrait dans la salle de réanimation en usant du même matériel. Autrement dit, cette brave femme, qui soit dit en passant a nié, ramassait en toute bonne foi les microbes dans les couloirs puis les dispersait parmi les patients fatigués.

En principe dans chaque clinique privée il y a un technicien spécialiste de l’hygiène, un hygiéniste chargé d’en contrôler les normes et les règles. Mais quoique assumant une responsabilité cruciale, l’hygiéniste demeure un peu le parent pauvre de l’établissement, parce qu’il n’est pas écouté par le cadre médical et para médical qui estime en savoir plus long que lui sur la question et qui dans le meilleur des cas, ne désire pas être dérangé dans ses habitudes, fussent-elles mauvaises.

C’est ainsi que, par la force des choses, le responsable de l’hygiène est amené, pour éviter les ennuis, à se muer en bureaucrate qui tous les jours entreprend sa tournée, signe les papiers réglementaires du contrôle, et veille à ce que les sacs contenant le matériel usagé et les restes des produits biologiques soient ramassés, enfermés, pesés, puis transportés par les entreprises chargées de l’incinération.

L’autre paradoxe c’est que l’hygiéniste ne possède aucune autorité sur les ouvriers préposés au nettoyage, employés par des entreprises sous-traitantes privées, et, bien souvent, ne possédant aucune qualification particulière, ou simplement de l’instruction nécessaire au respect des règles les plus élémentaires…

Evidemment, on peut toujours et à juste titre incriminer la responsabilité du directeur médical, puisque sa mission consiste entre autres à s’assurer du respect des normes de l’hygiène pendant l’exercice médical. Malheureusement, en Tunisie, les directeurs médicaux des cliniques, souvent de gros actionnaires, disposant de surcroît d’une consultation enviable et enviée dans leurs propres cabinets médicaux, consacrent dans les cliniques la plus grande partie de leur temps soit à examiner les patients dans les urgences ou dans les salles de consultation, alors qu’il y a normalement des médecins affectés aux urgences et d’autres affectés au tableau de garde, soit à opérer dans les blocs opératoires.

Le résultat, c’est qu’ils ne disposent pas du temps nécessaire pour prendre connaissance et résoudre les problèmes inévitablement rencontrés, en matière d’hygiène, d’autant que la plupart du temps, les surveillants chargés de tirer la sonnette d’alarme sous-estiment l’importance ou la gravité des incidents, quand par solidarité, ils ne les couvrent pas, par peur de sanctions pour eux-mêmes ou leurs collaborateurs. Ceci rend, par voie de conséquence, leur détection, et donc leur prévention, très difficile, en particulier lorsqu’elles occasionnent des dommages corporels, ou des pertes en vies humaines, passibles de poursuites judiciaires.

En conclusion, les infections nosocomiales existent et tuent chaque année, à travers le monde, un nombre considérable de patients, des centaines de milliers, l’équivalent de plusieurs guerres meurtrières.

Selon les prévisions, ce nombre est appelé à exploser lors des prochaines années, en particulier avec le développement de souches résistantes aux antibiotiques.

Cliniques privées et sentiment de fausse sécurité

Cependant, prétendre qu’en Tunisie, là où la médecine des moyens est possible, en premier lieu dans les établissements privés, on fasse tout ce qui est possible pour en minimiser les risques de survenue, serait contraire à la plus élémentaire des vérités.

L’organisation du travail adoptée la plupart du temps fait que les médecins à qui le devoir de vigilance soit dévolu, c’est-à-dire les directeurs médicaux, ne puissent que rarement être disponibles pour l’accomplissement de cet aspect de leur mission.

Concernant le comité d’hygiène et de sécurité, nécessaire en principe dans toute entreprise de plus de 60 personnes, il ne brille déjà généralement pas particulièrement par sa présence selon mon expérience personnelle. Mais il ne pourrait éventuellement jouer son rôle sans la collaboration des médecins décideurs, pour peu qu’ils soient disponibles, quand bien même ce rôle ne serait pas de soulever les problèmes rencontrés par le personnel para médical, beaucoup plus que par les malades.

En fin de compte, sans des directeurs médicaux disponibles en permanence pour l’accomplissement de leur mission, hors des blocs opératoires et des salles d’examens, le respect des normes d’hygiène et de sécurité, ne sera toujours rien de plus qu’un certificat accroché au mur de l’établissement, délivré par des organismes de contrôle européens ou nord-américains complaisants, et instituant auprès des malades, mais aussi d’autorités démissionnaires, un sentiment de fausse sécurité.

Or la gestion du risque sanitaire déborde habituellement le cadre strictement médical et touche à l’organisation de l’entreprise propriétaire de l’établissement de soins privé, bien souvent une société anonyme à responsabilité limitée (SARL) regroupant un certain nombre d’actionnaires. C’est le conseil d’administration composé des actionnaires majoritaires, qui désigne le directeur général administratif, ainsi que le directeur médical, ou dans un établissement de soins, le conseil médical ou scientifique.

Le problème se situe dans le fait que la désignation du directeur médical obéisse aux parts du capital détenues au sein du conseil d’administration. Dans la réalité le directeur médical est souvent synonyme de dictateur médical puisqu’il réunit concrètement entre ses mains des pouvoirs discrétionnaires de surveillance de l’activité du personnel, d’orientation des malades en vertu des consignes dont il est l’inspirateur auprès des surveillants et des réceptionnistes, et d’autorisation (ou non) de l’accès de l’établissement à ses collègues. Cela signifie qu’il se situe au-delà de la concurrence à laquelle se trouvent soumis ces derniers.

Pourtant, mis à part le conseil d’administration dont souvent il constitue l’un des principaux membres en terme de prise de participation financière et devant lequel il demeure redevable d’un bilan de ses activités, seul le Code de déontologie médicale auquel, en tant que médecin, il se trouve astreint à obéir, lui fait obligation de ne pas utiliser son mandat , au profit de ses intérêts personnels. Les prérogatives de ses fonctions relèvent-elles de l’utilité publique ou du droit privé? Ce serait au Conseil de l’Ordre des Médecins et à la justice de le dire, mais jusqu’à présent aucune de ces deux institutions n’a jamais statué sur la question. Et les médecins clients n’étant pas des salariés de l’établissement, le droit de l’entreprise ne saurait en principe s’appliquer à eux. Malheureusement, la structure ordinale qui aurait le pouvoir de sanctionner les abus de pouvoir dont ils seraient victimes dans les établissements privés, et ils sont nombreux, est singulièrement limitée par la possibilité de voir les éventuelles condamnations ordinales être pourvues en appel auprès des tribunaux civils, ainsi que l’affaire des stents périmés en a apporté la preuve.

Renforcer le contrôle des établissements privés de santé

Dans ces conditions, hors la volonté du conseil d’administration qui l’a nommé, aucune force au monde ne peut, en l’état actuel des choses, contraindre un directeur médical à restreindre son activité aux termes mêmes de sa mission telle qu’elle a été définie par le Code de Déontologie Médicale : assurer la continuité du service, établir le tableau de garde, faire respecter les normes d’hygiène et de sécurité, veiller à un exercice médical conforme aux données de la science, assurer la coordination entre les différents agents.

Ce faisant, l’hygiène des établissements et la vie des malades demeureront toujours et en définitive tributaires des conséquences de gestes et de décisions d’intervenants livrés à eux-mêmes hors de tout contrôle, comme par exemple celle de laisser une sonde urinaire être souillée par les déjections d’un patient, ou une braunüle s’enflammer dans une veine sans prendre la décision de la changer.

Il y a donc urgence à entreprendre une réforme des textes régissant l’activité de ces sociétés médicales, et à durcir les contrôles des inspecteurs de la santé publique, au sein des établissements privés de santé, afin d’y pérenniser le respect de la sécurité optimale des patients.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

 

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