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L’Egypte de Sissi : Un retour sur l’échiquier international ? (2-2)

Maréchal Haftar, l’homme fort de Libye, reçu par le président Sissi.

Dans une 1ère partie, on a évoqué les relations de l’Egypte du président Sissi avec la Russie, l’Occident, les Etats-Unis, les pays du Golfe et l’Afrique. Ici, nous traiterons de sa politique envers trois zones de guerre et de tensions : la Libye et du conflit israélo-palestinien.

Par Roland Lombardi *

Sissi et la Syrie

Au nom de la guerre contre le terrorisme islamiste et de son rapprochement avec Moscou, le président Abdel Fattah Sissi s’est très vite désolidarisé, avec un certain courage, de ses partenaires sunnites et des diktats des pays du Golfe, comme ceux des Occidentaux d’ailleurs, à propos de la crise syrienne.

Le président égyptien a très vite renoué, dès 2014, les relations diplomatiques avec Damas.

En 2016, la visite au Caire du responsable des services de sécurité syriens, le général Ali Mamlouk, pour rencontrer Khaled Fawzy, le chef du service de renseignement général égyptien, fut très remarquée. Certains médias arabes et certaines sources ont même évoqué la présence (démentie par Le Caire) de «conseillers militaires égyptiens» et de pilotes aux côtés des forces d’Assad.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, l’Egypte est très active dans le cadre des négociations, avec la Russie, au sujet des zones de désescalade. Et effectivement, lors du siège de la Ghouta, en coulisse, des négociateurs et des diplomates égyptiens étaient bien présents, encore une fois auprès des Russes, dans les discussions avec certaines milices jihadistes notamment celles encore soutenues par les Saoudiens.

A n’en pas douter, étant un pôle important du monde arabo-sunnite (mais proche de Moscou) et ne souhaitant pas laisser la Turquie ou même l’Arabie saoudite seules dans les pourparlers en Syrie, l’Egypte sera assurément très présente dans la résolution future du conflit.

L’Egypte face au chaos libyen

Partageant plus de 1.000 kilomètres de frontières avec la Libye, l’Egypte est très préoccupée par le chaos libyen qui menace sa propre sécurité interne (trafics d’armes, incursions de terroristes…). C’est pourquoi Al-Sissi fut, avec Poutine, le premier à soutenir les forces de l’Est et le maréchal Haftar, le futur homme fort de la Libye. Ce soutien est important et se traduit par des échanges de renseignements, l’envoi d’armes et de conseillers, voire parfois de forces spéciales égyptiennes. Depuis 2014, l’aviation égyptienne y a mené plusieurs raids aériens, souvent avec les Emirats arabes unis, contre des milices islamistes.

Sissi et le conflit israélo-palestinien

Très peu évoqué, est également le rôle très important joué par le président égyptien dans le dossier israélo-palestinien. Je rappelle que c’est lui qui a notamment obtenu un cessez-le-feu qui mit fin au conflit à Gaza en août 2014. L’Egypte a par ailleurs organisé, le 12 octobre 2014, au Caire, une conférence internationale pour la Palestine et la reconstruction de Gaza.

Cependant, les relations entre le Hamas et les militaires du Caire n’ont pas toujours été roses. En effet, il faut rappeler que le Hamas avait perdu un allié de poids en la personne de l’ancien président égyptien, issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi, lorsque ce dernier fut renversé par l’armée en juillet 2013.

De plus, avec le retour aux manettes des militaires et de Sissi, l’Egypte avait alors entrepris (les médias occidentaux en ont peu parlé) une lutte impitoyable contre le mouvement palestinien de Gaza avec des bombardements massifs, la destruction et l’inondation de tous les tunnels au Sud de l’enclave et enfin, la fermeture du point de passage de Rafah.

Le Hamas a par ailleurs longtemps soutenu les milices jihadistes dans le Sinaï. Toutefois, très isolé politiquement, militairement et sur le plan international, le groupe terroriste palestinien a commencé à craindre d’être «débordé» par Daech, qui a séduit de plus en plus la jeunesse arabe israélienne et palestinienne.

Ainsi, la milice palestinienne a peu à peu cessé sa politique tacite et parfois contradictoire (arrestations de djihadistes à Gaza et soutien aux milices du Sinaï) pour préférer un «rapprochement», forcé et contre-nature, avec l’armée égyptienne, afin tout simplement de sauvegarder son pouvoir et son leadership.

C’est pourquoi, les Egyptiens ont eux aussi décidé d’établir une sorte de coopération avec le Hamas, pourtant toujours considéré comme une organisation terroriste au Caire. De fait, depuis le réchauffement de leurs relations, le point de passage de Rafah ouvre plus régulièrement.

Depuis 2017, des représentations du mouvement islamiste palestinien ont donc été régulièrement reçues au Caire. Enfin, dans le but de réconcilier l’Autorité palestinienne et le Hamas, des rencontres, avec des diplomates ou des officiers des renseignements égyptiens, sont fréquemment organisées.

Lors de la reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël, Sissi est resté relativement discret, ne condamnant pas pour autant la décision du président américain. Mais ce qui est certain, c’est qu’actuellement, pour des raisons de prestige, le prince héritier saoudien et surtout le président égyptien, sont plus que jamais très impliqués dans les négociations actuelles, et plus ou moins secrètes, à propos du futur processus de paix israélo-palestinien, relancé par l’administration Trump.

Enfin, ces derniers jours, face à la situation à la frontière entre Gaza et Israël et en raison de ses contacts avec Jérusalem et Ramallah, Le Caire a envoyé des émissaires afin d’éviter l’escalade de la violence et trouver une solution à cette crise…

Quoi qu’il en soit, il est certain que le président égyptien souhaite, à plus ou moins long terme, instaurer en Egypte une sorte de «dictature éclairée», devenant même une sorte de modèle pour tous les autocrates en herbe de la région . Mais le nouveau raïs égyptien semble tout aussi déterminé à redonner à son pays, le plus puissant militairement et le plus peuplé du monde arabe (avec près de 100 millions d’habitants), son rôle de phare du sunnisme sur la scène internationale.

* Analyste au sein du groupe JFC Conseil, docteur en histoire, consultant indépendant en géopolitique, et chercheur associé à l’Iremam à Aix en Provence (France).

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