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Bloc-notes: La bataille des droits et libertés aura-t-elle lieu en ce ramadan ?

Les terrasses des cafés de Tunis durant le jeûne du mois de ramadan.

Ramadan sera-t-il cette année le mois de la vraie piété, celle de la liberté responsable du croyant, dont le droit de ne pas jeûner en public que garantit la foi des droits et libertés qu’est l’islam ?

Par Farhat Othman *

Au nom du respect des sentiments des musulmans, invoqué en Tunisie pour de tas d’interdictions abusives, ramadan est propice cette année soit à une avancée en matière des droits et des libertés soit à une reculade.

En effet, si l’on s’en tient à la stricte application dudit principe, le livre polémique de Hela Ouardi ‘‘Les Califes maudits’’, sévèrement jugé par Hichem Djaït et les consciences vives du pays, impose sinon la censure — ce qui serait détestable en un pays se voulant de droit —, l’abandon de ce qui est devenu un grotesque prétexte à nier les droits citoyens basiques en reconnaissant enfin la liberté de ne pas jeûner publiquement, l’ouverture des cafés et restaurants de jour et surtout le commerce et la consommation d’alcool durant ramadan et les vendredis hors le mois du jeûne.

Une bataille dont on ne peut faire l’économie

C’est une bataille capitale, inévitable et décisive, qui se profile et qu’il importe d’engager au plus tôt avant que les choses ne dégénèrent encore plus dans ce pays où les intérêts opposés, nationaux et internationaux, tirent à hue et à dia un peuple qui ne cesse de souffrir et de payer lourdement en drames sa condition miséreuse, aggravée par l’absence de la moindre dignité que ne manifestent que les droits et les libertés à une vie privée libre et libérée.

Or, personne de sincère et sérieux ne doute plus que nul État de droit ne sera érigé en Tunisie sans avoir reconnu leur qualité de citoyens aux Tunisiens, notamment en ces matières où elle est niée pour de supposées raisons religieuses. Aussi est-il vivement souhaitable que ramadan cette année y aide à changer les choses, permettant de sortir d’une impasse qui n’a pas lieu d’être si l’on a, pour le moins, la lucidité de comprendre correctement l’islam tel qu’il est à la vérité : une foi de droits et de libertés, religion des Lumières, nullement obscurantiste comme la veulent les salafistes et leurs complices objectifs, les laïcistes.

Cela est d’autant plus possible que le mois du jeûne arrive, cette année, en pleine polémique suscitée par le livre de Hela Ouardi, librement vendu dans le pays, et qui — ne serait-ce déjà que par le titre traitant les califes majeurs de maudits — ne peut ne pas être jugé comme une atteinte aux sentiments des musulmans. Or, on ne le sait que trop, le respect des sentiments des musulmans est le prétexte favori des autorités pour nier les libertés précitées.

C’est même devenu impératif et personne dans le sérail politique ne conteste qu’il n’est point d’État de droit sans ce critère véritable d’une démocratie réelle, non formelle, que sont les libertés citoyennes avérées. Ce qui manque encore en une Tunisie où l’on songe même à des élections alors que le pays est régi pour l’essentiel, comme sous la dictature, par une législation scélérate. Ce qui veut dire que les juges censés rendre la justice ne font office que de rendre l’injustice puisqu’ils appliquent des lois devenues nulles et non avenues depuis l’adoption de la constitution nouvelle. De plus, même la cour constitutionnelle n’a toujours pas été installée en violation flagrante de cette même constitution qu’on se targue de respecter en tenant à organiser les élections législatives et présidentielle avant la fin de l’année en cours. Comment peut-on songer à des élections propres en un tel état de malpropreté juridique ?

C’est, d’ailleurs, une des raisons qui semblent faire songer certains des acteurs politiques à l’hypothèse du report des élections. Il faut dire que les circonstances dans le pays et alentour n’encouragent nullement à leur tenue, d’autant que l’état de déliquescence s’y aggrave. Toutefois, certaines autres forces qui comptent dans le pays ou qui sont penchées de près sur son sort entendent cultiver un tel état de désordre, forcément utile à leurs intérêts étant, au pis, de ces chaos créateurs, pensant pouvoir faire du neuf à partir du vieux, l’archaïque même.

Un blitzkrieg à engager et gagner

Il est vrai, les bonnes volontés patriotiques ne sont heureusement pas totalement absentes en Tunisie; elles se taisent tout juste ou ne sont pas employées à bon escient, sinon tenues à l’écart des centres de décision. Pour elles, n’ayant en vue que l’intérêt des masses, non celui des minorités privilégiées, l’action salutaire ne saurait être qu’en rompant avec l’état actuel de faussetés en tous domaines, notamment en ce faux État de droit, État de similidroit au mieux, en dotant au plus vite le peuple de ses droits et libertés, à commencer dans sa vie privée. Il s’agit d’une véritable bataille à engager; qu’elle soit nécessaire et inévitable, ils n’en doutent point, ni personne non plus d’ailleurs sur la scène politique, y compris parmi les acteurs du jour.

Le chef du gouvernement en reprend ainsi le thème à son compte dans le cadre de ses ambitions pour la patrie, présentes et futures. Et son parti, Tahya Tounes, qui tient ses assises fondatrices ce week-end, en fera assurément aussi le plus grand usage. Or, déjà, ne serait-ce que pour être crédible dans son discours, outre son action, notamment dans sa lutte contre la corruption, Youssef Chahed peut et doit engager au plus vite une telle bataille; et il a même la capacité de la gagner par une sorte du blitzkrieg dont il sera question ci-après.

Notons d’abord que le chef du gouvernement y a intérêt pour être crédible lorsqu’il affirme que «Personne ne bénéficie d’une immunité, et nul n’est au-dessus de la loi». En effet, cela n’a de sens que lorsque la loi est juste et respecte les droits de la majorité; ce qui n’est pas le cas, nos lois étant encore pour la plupart (répétons-le volontiers) celles de la dictature, et nombre d’entre elles sont scélérates; ce sont elles qui oppriment la majorité alors qu’une minorité de privilégiés y échappent. N’est-ce pas, de fait et de droit, une immunité pour de tels privilégiés qui sont bel et bien, non seulement au-dessus de la loi, mais aussi au-dessus du peuple qu’ils écrasent de leurs avantages exorbitants ?

Outre le texte de telles lois indignes, il est de même à dénoncer ces pratiques qu’elles génèrent, étant à l’origine du fameux et honteux deux poids deux mesures dont on vient d’avoir une illustration flagrante avec l’affaire de la chaîne Nessma. Voilà une antenne qu’on ferme manu militari alors qu’une autre, se drapant dans la sacralité du Coran, l’antenne Zitouna, continue d’émettre malgré des turpitudes similaires sur lesquelles on ferme les yeux pour cause de protections politiques. De quelle justice parle-t-on donc et de quelle légalité ?

De cela, M. Chahed ne saurait être ignorant. Toutefois, empêtré dans ses relations compliquées avec ses partenaires et ennemis, il tarde à dégainer le premier cette arme fatale que nous lui conseillons et qui serait bien plus qu’une bataille gagnée, le fameux blitzkrieg évoqué. Et il aura bien tort de ne pas l’engager, et donc aussitôt le gagner, l’anticipation en stratégie étant une condition de la victoire finale.

En vue d’un sursaut salutaire pour son avenir politique et le salut du pays, commençons par lui rappeler, pêle-mêle, ce qu’il ne saurait ignorer : que l’âme du Tunisien est libertaire et hédoniste et qu’il simule et dissimule le conservatisme dans une ruse de vivre afin de se protéger des lois scélérates, ces lois illégales que les juges de la République appliquent de nos jours; que de simples circulaires empêchent le respect de certaines lois comme le fameux texte dit de Mohamed Mzali, cette honte qui impose la violation des libertés individuelles durant ramadan; que malgré la condamnation de leur conseil, des médecins sont obligés de se soumettre à des ordres de réquisitions émanant de juges pour réaliser l’abject test anal qui, à la veille de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie le 17 mai prochain, donne une piteuse image d’un pays brimant des gens n’ayant pas choisi d’être ce qu’ils sont, ayant été créés, par Dieu, homosexuels.

Demandons-nous candidement maintenant : pourquoi donc, déjà, par simple circulaire ou arrêté ministériel, M. Chahed ne met-il pas hors la loi en Tunisie la pratique moyenâgeuse de cette indignité du test anal à la veille de ladite journée mondiale, soignant son image tout autant que celle du pays ? Et à la veille de ramadan, pourquoi ne rapporte-t-il pas la circulaire illégale précitée interdisant le libre commerce de l’alcool ? Mieux, par arrêté, pourquoi n’intime-t-il pas l’ordre aux agents de police de ne plus contrevenir à l’ordre public en empêchant les gens de ne pas jeûner ou boire de l’alcool ?

Ce sont de telles mesures qui feront la guerre éclair dont nous parlons ! Or, personne ne pourra lui reprocher d’user de ses prérogatives pour consolider l’État de droit dans le pays, surtout pas les islamistes, supposés être ses soutiens. Surtout qu’il a été prouvé que c’est en imposant par la contrainte le jeûne qu’on viole l’islam et non le contraire; qu’interdire le commerce d’alcool durant le mois du jeûne est contraire à une saine compréhension de l’islam qui n’a jamais interdit que l’ivresse, soit l’excès de boire l’alcool, comme tout excès au reste; que c’est en libéralisant les mœurs, à ce niveau et à bien d’autres, qu’on luttera mieux contre l’ivresse et les divers travers encouragés par la misère du peuple et qui s’aggrave, encouragent de sa part la fatale ruse de vivre précitée, aussi vicieuse que les interdits qui la suscitent.

* Ancien diplomate et écrivain.

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