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A propos de la présidentielle anticipée en Tunisie : une démocratie en danger

Mohamed Ennaceur, président par intérim, effectuant hier son devoir électoral.

Dans cette tribune au ton prémonitoire écrite quelques heures avant la proclamation résultats du 1er tour de la présidentielle anticipée, hier soir, dimanche 15 septembre 2019, l’auteur, un Français observateur des affaires tunisiennes pressentait des «conséquences désastreuses pour la démocratie» en Tunisie.

Par Christian Jean *

Tout d’abord n’oublions pas que la démocratie est une croyance et qu’elle ne fonctionne que parce que nous y croyons.
Cette croyance repose sur un certain nombre de principes : l’espoir d’alternance, la garantie d’expression et de sincérité, l’accessibilité au vote et l’intégrité du processus électoral.

Si nous ne croyons plus à la démocratie, nous retrouverons le système primaire de la force, gourdin de l’homme préhistorique ou kalachnikov des temps moderne, l’outil importe peu…

La Tunisie est une grande république et une grande démocratie qui nous donne des leçons depuis des siècles : de la République de Carthage, à l’abolition de l’esclavage en passant par la première Constitution ou les droits des femmes sont consacrés, nous avons tout appris de ce si singulier pays.

Le danger est là, imminent et terrifiant

Si le monde moderne connaît une tourmente de rejet de la classe politique voyant un humoriste au pouvoir en Italie ou un acteur de séries TV, président en Ukraine, serait-il choquant de voir un producteur de télé-réalité en Tunisie ? Je ne sais pas.

En termes de corruption avec les affaires Cahuzac ou Fillon et les derniers repas remboursés deux fois, il m’est difficile de m’exprimer de France.

Par contre, ce que je sais c’est que le monstre hideux du terrorisme islamiste plane au-dessus de la belle et indépendante Algérie, je sais que plusieurs milliers de barbares sont à la frontière de ce qui reste de la Libye, je sais que des milliers de djihadistes sont rentrés et que des centaines ont pris le maquis tunisien. Le danger est là, imminent et terrifiant.

La démocratie, plus que les armes et les chars, est la meilleure défense, faut-il encore qu’elle ne soit pas l’instrument de la révolte.

J’ai suivi de nombreuses élections dans ma vie mais je n’ai jamais vu de candidats se désister en plein scrutin, je n’ai jamais lu en plein scrutin que les autres candidats n’existaient plus et que le jeu (sans aucune donnée fiable, véritable et partagée) était fait.

Je comprends que face à l’éclatement des candidatures et en l’absence de projets clivants et novateurs, les démocrates essaient sur des valeurs partagées de faire un front face à d’autres périls.

Une élection n’est pas une fin en soi, mais un début il faut ensuite gouverner.

Demandez à ce pauvre François Hollande qui avec une majorité hétéroclite avait plus d’opposants dans sa majorité que dans l’opposition et fut dans l’incapacité de rassembler.

Au-delà de la gouvernance postélectorale se pose pour la Tunisie la croyance des électeurs dans la représentativité démocratique du candidat qui va jeter à la poubelle leurs vœux en annonçant sa reddition sans combat et son ralliement sans attendre la fin du scrutin comme si ce dernier n’avait aucune importance.

Je comprends les alliances, je comprends le sursaut républicain mais avez-vous tenté de vous mettre à la place des électeurs ?

D’abord qui sont-ils, des hommes et des femmes épuisés par 8 ans de politique des partis, de tourisme électoral, de trahison politique.

N’oublions pas que le parti au pouvoir c’est fait élire sur le slogan «Tout sauf les islamistes» Pour finalement gouverner avec eux.

Imaginez Chirac porté au pouvoir contre Le Pen le nommer par la suite Premier ministre le lendemain des victoires ou Hollande prendre comme chef de Gouvernement Sarkozy ?

La Tunisie qui souffre après avoir été trahie par tous

Mais au-delà de la lassitude politique, les maux de la Tunisie ont explosé : effondrement du dinar, inflation galopante, disparition des services publics, grèves permanentes et explosion de la corruption.

Mais surtout disparition de la classe moyenne, appauvrissent général, et enrichissement spectaculaire de certains

Dans ce contexte la Tunisie se fracture entre intellectuels possédants un minimum et les moyens de vivre et Tunisiens n’arrivant ni à survivre ni à penser.

La facture augmente entre l’Est et le reste du pays, le Sud vivier islamiste en contact permanent avec les djihadistes libyens, Nord-Ouest en zone de combat terroriste, et le centre mou de la Tunisie, Sidi Bouzid, la Tunisie délaissée, point de départ de 2011, mais aussi foyer permanent de grève et de conflit.

La Tunisie qui souffre après avoir été trahie par tous, se voit privée de son Champion et voit autour d’elle des Messieurs en cravate décider avant les urnes de l’inexistence de leurs voix.

Si vous étiez pauvre, sans emploi, sans espoir et que vous aviez été trahi en 2011, en 2014 et depuis…

Comment réagiriez-vous aujourd’hui devant ces alliances sur le champ de bataille ou ces messages annonçant que les Jeux sont faits ?

Il ne reste que quelques heures avant le résultat du premier tour, mais hélas je crains que ses conséquences soient désastreuses pour la démocratie.

Je crains qu’une grande partie de l’électorat ne croit plus aux élections, je crains que sans solution démocratique ils ne se retournent vers des solutions radicales.

J’espère de tout cœur me tromper mais le danger est là !

Le vote nous dira si le sursaut s’est transformé en vote utile ou en vote pour la fidélité politique, le vote nous dira quel est la voix des prisons, la voix de la raison, la voix de la nostalgie, ou comme le disait le poète voix «ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas, tous les deux aimaient la Belle (le pays)».

La fidélité avant et pendant les élections garantit, peut être, la fidélité après les élections.

Attention de ne pas donner l’impression d’une classe qui dirige sans écouter le peuple, attention de ne donner l’impression «d’un marché aux bestiaux» et élections déjà entendues entre puissants et possédants.

Attention aux erreurs dramatiques de l’Isie, aux erreurs de communication des communiquants et à l’empressement des démocrates, tout cela pourrait tuer la DÉMOCRATIE.

Être fidèle et perdre ou gagner avec conviction est parfois plus utile que la victoire à tout prix.

Tous mes vœux à la Tunisie et aux Tunisiennes qui en sont l’âme éternelle.

* Secrétaire général du GDRR LAB (General Data Protection Regulation).

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