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La Ligue islamique mondiale à Paris pour dénoncer le fondamentalisme : Une absurdité difficile à digérer

Ligue islamique mondiale, une organisation wahhabite basée en Arabie saoudite, n’a aucune légitimité pour représenter l’islam ouvert, tolérant et moderne auquel aspirent un grand nombre de musulmans dans le monde.

Par Razika Adnani *

J’ai reçu le 9 septembre 2019 de la part de la Fondation de l’Islam de France un mail m’invitant à assister à la Conférence internationale de Paris pour la paix et la solidarité que la Fondation co-organisait avec la Ligue islamique mondiale sans que j’aie été, en tant que membre du conseil d’orientation de la Fondation, mise au courant d’une telle organisation.

Les contacts que j’ai eus avec d’autres membres du conseil d’orientation de la Fondation m’ont confirmé que je n’étais pas la seule à ne pas être au courant. L’événement engage pourtant tous les membres de la Fondation vue notamment la particularité de son co-organisateur.

Une ligue wahhabite dont idéologie n’est pas à présenter

Comme tout le monde peut le savoir la Ligue islamique mondiale est une organisation saoudienne basée à la Mecque. C’est donc une ligue wahhabite dont idéologie n’est pas à présenter. Les principes du wahhabisme et ses conséquences sur le monde et notamment le monde musulman ne sont un secret pour personne. Il est donc difficile d’admettre, malgré les efforts du président de la Fondation de l’Islam de France, que les wahhabites sont subitement devenus des gens qui prônent un discours de paix et de solidarité, qui dénoncent le terrorisme et l’obscurantisme islamiques au point de devenir un exemple à suivre et surtout de venir en parler en France et de montrer aux Français musulmans le chemin à suivre pour vivre en harmonie avec leur société.

Si la Ligue islamique mondiale dénonce le terrorisme, comment expliquer que des hommes et des femmes sont décapités sur la place publique en Arabie Saoudite ? Pourquoi des êtres humains sont-ils condamnés à des coups de fouets parce qu’ils ont des opinions au sujet de l’islam et de la société différentes de celle des wahhabites ? Celui qui condamne le terrorisme au nom de la dignité humaine ne peut admettre ce genre de pratiques à l’encontre des êtres humains. Sauf si pour la Ligue, lorsqu’il s’agit de musulmans, cela ne fait pas partie de la terreur mais de l’application de la charia. Si la Ligue islamique mondiale œuvre pour l’ouverture sur l’autre, pourquoi continue-t-on en Arabie de traiter les femmes comme des sous-êtres humains et pourquoi les non-musulmans n’ont-ils pas le même statut que les musulmans ? Et je n’oublie pas le silence de la Ligue islamique mondiale lorsque des Algériens dans les années 90 se faisaient égorger au nom de l’islam.

Les musulmans doivent s’interroger au sujet de leur religion

Certes, le secrétaire général de la Ligue depuis 2016, Mohammed Al-Issa, qui est l’ex-ministre saoudien de la Justice, sillonne le monde au nom de l’Arabie pour prêcher un discours qui condamne l’obscurantisme et le rejet de l’autre, et la Conférence internationale de Paris s’inscrit dans ce projet.

Ce qui est important à noter, c’est que dans son beau discours qui semble séduire, d’une part, Mohammed Al-Issa ne dit rien de précis sur la manière de procéder dans cette lutte contre le fondamentalisme, et d’autre part, pour lui, l’obscurantisme est dû au fait que certaines personnes ont mal compris l’islam et qu’elles se sont éloignées du vrai chemin tracé par les premiers musulmans. Son discours fidèle à la doctrine salafiste non seulement n’apprend rien de nouveau aux musulmans, mais aussi n’apporte aucune solution concrète au problème du fondamentalisme. Pire, il est la cause qui fait que la grande majorité des musulmans s’interdisent de s’interroger au sujet de leur religion et considèrent que toute critique à son égard n’est que l’expression d’une haine ou d’une peur à l’égard de l’islam.

Voilà pourquoi il est important dans ce contexte de s’interroger sur le sens de l’obscurantisme. N’est-il pas le fait de croire qu’on détient la vérité et de rejeter toute remise en question de soi et de ses convictions ? Qu’est-ce que l’obscurantisme islamique si ce n’est le fait de vouloir vivre au XXIe siècle selon les normes du VIIe siècle en refusant ainsi l’évolution et le progrès ?

Le salafisme ne proposant comme seules valeurs et seul modèle de société que ceux du VIIe siècle a fait que les musulmans qui veulent être pratiquants sont écartelés entre le présent et le passé ce qui les pousse souvent à se réfugier dans le fondamentalisme et le radicalisme croyant ainsi se protéger et protéger leur religion.

Certains en veulent à l’Occident d’être un obstacle devant la réalisation de leur modèle société et d’autres voient même dans la violence le meilleur moyen pour y arriver. Ainsi si la Ligue islamique mondiale dénonce l’obscurantisme et le terrorisme, son discours consolide les causes qui les nourrissent et les renforcent.

Les limites de la charte de la Mecque

Un des événements importants de la Ligue islamique mondiale cette année a été l’organisation, en mai dernier, d’un colloque international sur le thème : «Les valeurs du juste milieu et de la modération», deux valeurs qu’elle a promues au nom de l’islam et qui sont certainement intéressantes.

Cependant, tous les intervenants ont répété inlassablement le fait que l’islam est une religion de paix et d’amour, qu’il faut que les égarés reviennent au droit chemin, que l’islam est la religion de la modération et du juste milieu sans qu’aucune précision sur cette modération et comment elle doit être, ni aucun détail sur ce juste milieu et où il se situe ne soient données.

Aucune idée nouvelle, aucune proposition concrète. Rien non plus sur les versets qui appellent au rejet de l’autre et à la guerre, rien sur la situation de la femme et celle des non-musulmans vivant dans les sociétés musulmanes. Aucun regard critique ni analyse rationnelle sur ce que les musulmans ont construit autour de leurs textes sacrés : les commentaires, la charia, la théologie ou encore la méthodologie. Beaucoup de louanges à l’égard de l’Arabie Saoudite ont été en revanche enregistrées.

À la fin du colloque, une charte de la Mecque a été signée par 1200 participants. Elle a été présentée comme la continuité du traité d’Houdaybiya entre le prophète et les autorités mecquoises. Parmi ses articles, il y en a trois sur lesquels il est nécessaire de faire un petit zoom.

L’article 18 précisant que l’ingérence dans les affaires internes des autres pays est inacceptable sauf si c’est dans l’objectif de mener une action légitime : combattre un agresseur, un révolté, celui qui sème le mal ou encore aider ceux qui sont dans le besoin. Les signataires de cette charte au nom de l’islam donnent donc à l’Arabie Saoudite le droit d’intervenir dans leur propre pays si elle considère qu’il est nécessaire de le faire.

L’article 25 concerne la femme, il affirme que celle-ci aura tous ses droits selon ce que la charia lui accorde et selon ce qu’elle mérite et qui correspond à sa nature, mettant ainsi un trait sur la lutte pour l’égalité femmes-hommes.

L’article 29 précise qu’aucune décision concernant la oumma des musulmans et aucune parole concernant la religion musulmane ou qui a un lien avec elle ne peut se faire que par les docteurs de l’islam qui ont participé à l’élaboration de la charte de la Mecque. Comme l’islam ne sépare pas le politique et le religieux, cela revient à dire qu’aucune décision ou réforme socio-politique dans tous les pays musulmans ne peut se faire sans l’avis de l’Arabie.

Dans ce cas, les Algériens, les Tunisiens, les Soudanais… doivent oublier leur combat pour la démocratie, l’égalité homme-femme, la citoyenneté, la neutralité de l’État. Parce que les musulmans d’Occident font partie de la oumma des musulmans, ils n’échapperont pas à cette règle ; ils doivent donc se référer aux décisions des docteurs de la Ligue islamique mondiale. La charte de la Mecque donne à l’Arabie la mainmise sur la vie politique et sociale de tous les musulmans.

* Philosophe, islamologue, membre du conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France, membre du groupe d’analyse JFC Conseil.

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