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Tunisie : 2019-2024, la législature de tous les paradoxes

Le peuple tunisien et sa démocratie en ont voulu ainsi: notre exception et notre success story ont accouché de tout ce à quoi l’on ne s’attendait pas… de toutes les étrangetés et de toutes les anomalies les plus inacceptables. A commencer par Rached Ghannouchi, le chef islamiste, aujourd’hui aux commandes de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), là où réside tout le pouvoir de la véritable décision politique. Mais pas seulement…

Par Marwan Chahla

Quant à ce qui a pu accompagner cette élection du gourou de Montplaisir et ce qui suivra pendant les cinq prochaines années, il n’y a pas lieu de s’en étonner car tout sera fait – avec ou sans nous, bon gré ou malgré – selon les démarches et les objectifs que les stratèges nahdhaouis ont décidés et décideront encore, en lieu et place du bon sens.

La Tunisie marche sur la tête, nous fera-t-on observer. Qu’à cela ne tienne, tant que notre pays organise des élections libres, indépendantes et équitables – et il en a tenu cinq selon les textes de la «meilleure constitution au monde» (dixit Mustapha Ben Jaafar, possible revenant sur la scène politique, eh oui !). Tant que nos frères et amis de l’étranger nous disent que notre pays est sur la bonne voie, tant qu’ils nous répètent que, moyennant quelques autres petits efforts, nous nous en sortirons et qu’il ne s’agit, en fin de compte, que d’une passe difficile qu’il faudra supporter encore un peu.

Ghannouchi : «Big brother is watching you»

Entretemps, l’ARP – avec les entourloupes les plus détestables et 123 voix – vient d’introniser à sa tête Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha. Que l’on s’en rende bien compte de l’importance de la fonction que la nouvelle ARP vient d’offrir à la figure politique tunisienne la plus obscure. Qu’on se le redise, une fois de plus, pour réaliser l’étendue de cette… énormité: Rached Ghannouchi est désormais l’homme politique le plus fort en Tunisie.

Il n’est pas nécessaire d’être diplômé de Sciences Po pour comprendre que, durant le prochain quinquennat, il fera la pluie et le beau temps – nous sommes tentés de dire la pluie et les trombes d’eau diluviennes. A ce poste, le chef des islamistes, avec les votes qu’il a obtenus pour devenir président de l’ARP, il pourra faire toutes les lois qu’il souhaitera. Au perchoir, également, il fera nommer le premier ministre et l’équipe gouvernementale qu’il voudra… Il cumule ainsi, sans exagération aucune, la mainmise sur le pouvoir législatif et la meilleure partie de l’exécutif. 

Quant au locataire du palais de Carthage, il saura se suffire de son vœu populiste d’ »Echaab yourid » (le peuple veut). Et si cela ne peut le contenter, le gourou de Montplaisir trouvera une autre potion à lui faire avaler ou lui signifiera que ses prérogatives se limitent à la défense du pays, aux affaires étrangères et à garantir l’application de la Constitution – rien de plus…

Corrompus, contrebandiers et opportunistes…

C’est donc là où nous en sommes, avec les élections législatives du 6 octobre 2019: cette ARP qui décidera du sort de notre pays de 2019 à 2024 – pour le mauvais, le meilleur ou le pire. Cette ARP où l’on retrouve ceux qui traînent les casseroles les plus impardonnables, ceux qui ont tout fait pour se faire élire et obtenir l’immunité parlementaire pendant les cinq années à venir.

D’ici 2024 ou 2025, qui se souviendra ou parlera de députés corrompus et véreux, de représentants du peuple qui ont échappé au fisc ou de parlementaires qui sont accusés de harcèlement sexuel et qui ne seront pas poursuivis?

Ces représentants-là ont tous été soupçonnés de ces crimes et fraudes que le commun de nos concitoyens aurait payés cher mais, eux, ils auront un répit de cinq années d’impunité. Tous pourront vaquer tranquillement à leurs occupations parlementaires et autres activités… Protégés comme ils sont, personne ne les inquiétera – pour la simple raison qu’ils ont réussi à négocier comme il se doit leurs voix de parlementaires et monnayer leurs votes pour rassembler les 123 voix qui ont permis à Rached Ghannouchi d’accéder au perchoir…

Un virage à droite toute

L’ARP 2019-2024, qui aura balayé, à l’occasion de sa séance inaugurale d’hier, d’un revers les lignes rouges idéologiques, pourrait nous réserver d’autres surprises…  

L’ARP 2019-2024 pourra faire fi de la parité femmes-hommes en son sein, puisque les urnes en ont décidé autrement et que seulement un quart de ceux qui parleront en notre nom seront des femmes.

L’ARP 2019-2024 se passera des sensibilités de gauche, du centre et des libéraux, puisque le bon peuple, dans son euphorie dégagiste, en a voulu ainsi et qu’il a décidé de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le tsunami du tout-à-droite présidentiel et législatif, au nom d’un prétendu retour à l’essence révolutionnaire, ne laissera que peu de force à l’opposition.

Cette dernière, lorsqu’elle se décidera de se rassembler, aura le plus grand mal à inventer le dénominateur commun qui réunirait le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi, le Tahya Tounes de Youssef Chahed, Attayar de Mohamed Abbou et le mouvement Echaab de Zouhair Maghzaoui, et éprouvera les plus grandes difficultés à résister à ce virage à droite que nous ont donné les législatives du 6 octobre 2019…

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