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Création du Fonds de Zakat au Kram ou le commerce des indulgences (1/2)

Hôtel de ville du Kram.

Obligatoire, ainsi que son appellation le suggère, la zakat serait anticonstitutionnelle en tant que taxe devant laquelle tous les citoyens ne seraient pas égaux puisqu’il existe des Tunisiens non-musulmans. Facultative, elle cesserait d’être la zakat, et il n’y aurait donc aucune raison de la prénommer ainsi.

Par Dr Mounir Hanablia *

La zakat est cet impôt institué par le premier Etat musulman depuis son instauration à Médine est auquel chaque membre de la communauté est en principe tenu de contribuer. Il a été une cause de la guerre menée par le premier calife Abu Baker contre les tribus riveraines du Golfe, telles celles d’El-Yamamah, qui à la mort du prophète Mohamed, avaient refusé de le payer.

Ces expéditions contre lesquelles le futur calife Omar avait au départ marqué son désaccord, puisqu’elles étaient dirigées contre d’autres musulmans, s’étaient accompagnées des exécutions de deux autres candidats à la Révélation Divine, le devin Musaylima surnommé par ses ennemis «le menteur», et la poétesse visionnaire Sajah, dont la tradition rapporte qu’elle fut «convertie à la révélation» de son compagnon après un tête à tête intime.

Le cheminement historique de la pratique de la zakat

On ne peut pas se poser la question de savoir pourquoi Omar n’avait pas jugé hérétiques, méritant la mort, des tribus censées suivre une révélation issue de faux prophètes, sans mettre en doute la véracité du récit la rapportant. Musaylima et Sajah ne seraient donc que des personnages inventés pour légitimer une guerre que beaucoup ont jugée injustifiable.

Quoiqu’il en soit, le refus de s’acquitter de la zakat, c’est-à-dire de l’impôt dû à l’Etat califal, deviendrait dès lors pour tout musulman passible de mort. Et avec la constitution de l’empire, puis des multiples Etats musulmans, englobant de fortes communautés non musulmanes, et plus tard avec la colonisation européenne, au cours de laquelle les musulmans perdirent le pouvoir politique et militaire, et furent soumis aux impôts dus à l’Etat séculier, la pratique de la zakat se transformera en un attribut distinctif d’une communauté musulmane soucieuse de préserver son identité.

Un fonds de zakat en 2020 pour quoi faire ?

C’est à la lueur de ce cheminement historique qu’il faut évaluer la décision récente d’un maire issu du Parti Ennahdha, celui du Kram en l’occurrence, d’instaurer un fonds de la zakat, dont l’institutionnalisation avait été rejetée par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en décembre 2019.

À la suite d’une plainte portée par un parti politique d’opposition, le Parti Destourien libre (PDL), ainsi que des associations membres de la société civile, la réponse du ministère des Collectivités locales, dirigé par un autre membre du parti Ennahdha, Lotfi Zitoun, a été que la mairie avait le droit en vertu de textes de lois cités, de collecter de l’argent au profit de projets d’intérêt public. Mais une telle réponse, qui vaudra sans doute à son auteur un recours auprès de la justice administrative, n’est pas convaincante et semble plutôt faire partie du problème, contrairement à celle d’autres autorités, pour qui cet impôt est du ressort exclusif de l’Etat, en l’occurrence musulman puisque en Tunisie la Constitution le stipule bien.

Dans les faits et alors que l’Etat musulman ne l’a pas instauré, ce sont donc quelques mairies dont le seul point commun soit d’être présidées par des membres issus d’un même parti politique, islamiste, qui ont pris l’initiative de promulguer un impôt d’essence religieuse, sans par ailleurs aucune menace identitaire sérieuse le justifiant.

La question importante sera donc de savoir si la zakat sera ou non considérée comme un impôt obligatoire, un de plus, dû aux collectivités locales du Kram et d’ailleurs, ou bien s’il s’agira d’une simple caisse sollicitant les contributions volontaires dans un cadre philanthropique.

Cette appellation n’en suscite pas moins un dilemme. Obligatoire, ainsi que son appellation le suggère, la zakat serait anti constitutionnelle en tant que taxe devant laquelle tous les citoyens ne seraient pas égaux puisqu’il existe des Tunisiens non-musulmans. Facultative, elle cesserait d’être la zakat, et il n’y aurait donc aucune raison de la prénommer ainsi, d’autant que ce n’est pas l’Etat qui l’aurait instaurée mais des mairies assujetties à un seul parti politique.

Ennahdha veut gagner du temps en attendant que l’orage passe

La teneur du débat revient donc à évaluer si un parti politique, Ennahdha, probablement et comme toujours soutenu par son compagnon inséparable, Al-Karama, a ou non le droit de s’arroger l’usage de pratiques religieuses, forcément discriminatoires dans le champ public, des collectivités locales, afin de s’assurer des revenus financiers susceptibles de lui assurer des bénéfices politiques.

Pour bien préciser les choses, il y a déjà une multitude d’associations œuvrant dans le champ de l’activité missionnaire islamiste, y compris en finançant des écoles comme celle dite coranique de Regueb (Sidi Bouzid), qui associées à des moyens d’informations bien connus, travaillent inlassablement le corps électoral, avec l’efficacité qu’on leur reconnaît à chaque scrutin.

Ce n’est donc pas l’instauration d’une caisse caritative supplémentaire qui va y changer quelque chose. Plus que d’une soif de publicité, il s’agit de détourner l’attention, d’une opinion publique en voie de mobilisation, qui demande de plus en plus un changement radical de l’orientation politique, sous l’égide du président de la république et de partis d’opposition, et qui est lassée par un parlementarisme ignorant ou menaçant les intérêts fondamentaux du pays.

Diviser pour régner; il semble que cette devise issue de la Rome antique soit toujours d’actualité au sommet du parti Ennahdha, pour gagner du temps, en attendant que l’orage passe.

Afin de soulager la misère, le mieux sera toujours de distribuer soi-même son aide à ceux qui le méritent vraiment… Il n’est pas besoin pour cela de financer un intercesseur avec le Créateur.

A suivre…

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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