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Face à un péril imminent, la Tunisie en appelle à la baraka de ses saints

La Tunisie, trahie par l’impuissance, l’incompétence et le cynisme de ses dirigeants politiques, sombre dans la crise et le désordre. Va-t-elle s’en remettre à la baraka de ses saints patrons pour la sortir de la périlleuse voie destructrice sur laquelle elle s’est engagée ?

Par Mohamed Ridha Bouguerra *

Essayda Manoubia, protège-nous, la Tunisie est en train d’être dépecée par ses propres enfants !

Elle dit : «Vous avez, félons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté(s);
Or, vivez de venin, sanglante géniture,
Je n’ai plus que du sang pour votre nourriture !»

(Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, Misères, vers 127-130.)

Sidi Mehrez, protège-nous, notre pays, pris en otage par les siens, est en train de partir en lambeaux !

Sidi Belhassen, protège-nous, notre peuple, meurtri, assiste impuissant aux coups de boutoir portés par de viles mains mercenaires à toutes ses institutions !

Sidi Abdelkader, protège-nous de tous les inutiles et mal avisés eunuques en train de sombrer dans une profonde léthargie dans ces tombes que sont nos 222 partis politiques !

Sidi Mostari, protège-nous de notre personnel politique dont l’impuissance et l’incompétence sont en train de mener notre État vers un total effondrement !

Sidi Boulbaba, protège-nous de nos parlementaires qui sont davantage préoccupés par leurs propres tiroirs caisses et plans de carrière que des intérêts de leurs électeurs !

Sidi Sahbi, protège-nous des hommes politiques qui ont vendu leur âme à l’étranger et sont en train de vendre à l’encan tout le pays !

Sidi Lakhmi, protège-nous des démagogues et vendeurs de vent en train d’abreuver les pauvres gens de mirobolantes promesses alors que les caisses de l’État sont vides !

Sidi Boumendil, protège-nous de nos responsables politiques autistes, aphones, sourds et aveugles dont le silence assourdissant sème la panique dans tous les foyers !

Sidi Bou Makhlouf, protège-nous des vains crieurs de slogans creux du genre «le peuple veut !» car le peuple à bout de souffle veut d’abord de l’eau à Kairouan, des bonbonnes de gaz à Sfax, du carburant à Djerba, de l’ammonitre à Béja, un hôpital à Kébili, une école digne de ce nom à Sers et partout ailleurs du travail, du vrai travail, source de dignité !

Sidi Bouchoucha, protège-nous des barons sans foi ni loi de la contrebande en train de ruiner toute notre économie par leur camelote importée des quatre coins du monde et honteusement étalée sur les trottoirs de nos cités !

Sidi Azzouz, protège-nous des protecteurs et véritables souteneurs des nouveaux Vandales qui, aux aguets, attendent impatiemment dans l’ombre leur heure en se léchant leurs babines dégoulinantes du sang de nos valeureux martyrs !

Sidi El-Béchir, protège-nous des casseurs qui sont en train de détruire les postes d’emploi miraculeusement encore épargnés, pour le moment, par le corona, en arrêtant intempestivement la production du gaz à Gabès, du pétrole à El Kamour, du phosphate dans le bassin minier !

Sidi Ali El Mekki, protège-nous des sit-inneurs en train de porter atteinte aux symboles et au prestige de l’État en occupant manu militari les bâtiments officiels et en malmenant ses représentants !

Sidi Bouraoui, protège-nous des égoïstes tenants du régionalisme qui, oublieux de l’intérêt général, ne prônent que celui étriqué d’une corporation ou d’une région !

Sidi Hachani, protège-nous des dangers du tribalisme et des menaces d’une somalisation rampante vers laquelle nous nous acheminons à grands pas !

Mais, en réalité, les vénérables saints de notre pays, ainsi que tous ceux et celles aussi bien d’Orient que d’Occident, même tous ensemble et réunis, ne pourraient rien, hélas, contre la folie suicidaire qui s’est emparée de tout un peuple en train d’aveuglément rouler vers l’abîme en emportant tout sur son passage comme de tumultueuses eaux en furie !

D’où nous viendra donc, enfin, le salut ? Et y a-t-il encore place pour de l’espoir ? Y a-t-il encore des sages dans ce pauvre pays ?

Faudrait-il mettre tous nos espoirs en l’apparition d’un homme providentiel, mais sûrement à poigne, pour voir le pays remis sur les rails et le peuple retourner au travail? Ou bien, pour voir l’ordre de nouveau rétabli, devrions-nous, qu’à dieu ne plaise, nous résoudre à attendre, la peur au ventre, le Communiqué N°1, lu à la radio, à cinq heures du matin, par le chef d’un hypothétique Comité de Salut Public en grande tenue militaire?

Faudrait-il cyniquement passer sous silence le tragique bain de sang, lourd prix à payer pour le retour d’un pseudo et temporaire calme ?

À nous de choisir maintenant notre propre destin ! Soit continuer sur la périlleuse voie destructrice sur laquelle nous nous sommes engagés ou bien, grâce à un miraculeux sursaut salvateur, nous ressaisir, mettre un frein à la dégringolade, rappeler la valeur de l’effort et du travail, imposer l’ordre civil, rétablir le prestige de l’État et valoriser l’esprit civique.

Mais, le temps presse car les ennemis de notre démocratie balbutiante sont nombreux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ! Il y a véritablement urgence car il y a péril en la demeure !

* Docteur Honoris causa de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.

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