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Le sermon du bon Dr Affès à l’Assemblée : halal ou Khalil ?

Suite à la polémique suscitée par le député Mohamed Affès à propos de la place de la femme dans la société tunisienne, il est nécessaire de bien comprendre que ce qui est visé, ce n’est pas la cause des femmes, qui n’est que l’arbre qui cache la forêt, c’est le pays dans son ensemble, dans sa défense contre l’infiltration des rouages de l’Etat par les partis au service des intérêts étrangers, qui l’ont conduit au bord du gouffre.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le député du peuple, le docteur en médecine Mohamed Affès, après ses prêches incendiaires des années 2012 à 2014, appelant, du haut de sa chaire d’imam dans une mosquée de Sfax, les jeunes chômeurs tunisiens à rejoindre le paradis en intégrant les rangs de l’Etat islamique en Syrie, après un long silence, a fait parler une nouvelle fois la poudre, cette fois du haut des tribunes de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Les opinions qu’il y exprime au nom de la vérité de l’islam sont justement celles-là mêmes qu’exprimait, au Moyen âge, l’église catholique, et qui valaient aux femmes d’être considérées comme déviantes (mères célibataires, femmes célibataires, veuves joyeuses, faiseuses d’anges, folles de leurs corps ) ou aux homosexuels, outre l’accusation de commercer avec le diable, de finir, au mieux, enfermées à vie dans un monastère après avoir subi la torture de la Question par l’Inquisition (ad extirpando), au pire, sur le bûcher ou lapidées, après un procès expéditif .

Ennahdha anachronique reprenant les fondamentaux du salafisme

Que ces opinions là aient plus tard été reprises par le Frère Musulman Saïed Qutb dans ses livres, puis dans les années 70 par le disciple spirituel de ce dernier, Rached Ghannouchi, dans la revue « El-Maarifa », n’y change rien. En faisant l’apologie des folles de la messe, ou des molles de la fesse, le Dr Affès n’a donc rien apporté ni rien inventé. On peut même dire qu’il a fait preuve de concision en omettant de citer, parmi les déviants, les zoophiles et les nécrophiles.

Il y a même du grotesque dans l’invocation du calife abbasside El-Moatassem, de mère turque, soit dit en passant, quand on sait de quelle terrible manière le califat abbasside a pu finir. Quant aux députés d’Al- Karama, en le soutenant au nom du droit si peu monothéiste à la liberté d’expression et d’opinion, ils ont confirmé que leur parti politique n’était qu’une Ennahdha anachronique, qui reprenait les fondamentaux des Frères musulmans et du salafisme.

Que le Docteur Affès, adepte par ailleurs du complet cravate et de la barbe taillée, tout comme le fut Hassen El-Banna, ait renvoyé à tous les diables, c’est bien le cas de le dire, son sermon d’Hippocrate, en émettant des jugements d’ordre moral sur une catégorie de la population, des agissements desquels il puisse parfois professionnellement avoir connaissance, ne constituera certes pas l’essentiel du problème, même si on ne peut pas lui reprocher son attitude contre l’avortement.

Un populisme flirtant avec la violence et le terrorisme

Il est donc inutile de revenir sur l’inanité de propos qui somme toute font partie du bréviaire de tout populisme qui se respecte dans le monde; un populisme qui flirte à l’occasion avec la violence et le terrorisme, ainsi que le prouve l’exemple américain, qui a vu fleurir des associations influentes contre l’avortement, et où des cliniques de planning familial sont régulièrement assiégées, certaines parmi elles ayant été plastiquées, des gynécologues font l’objet de menaces de mort, et de harcèlement, tant bien même ces associations eussent pu constituer un vivier important de recrutement électoral pour Donald Trump, consacrant la division des Etats Unis en deux camps d’importance équivalente.

Or le plus important dans le plaidoyer inquisitorial moyenâgeux de Mohamed Affès, c’est qu’il fut justement un discours consacrant la fracture, lorsqu’il a commencé à opposer le ‘‘nous nous disons…’’ au ‘‘eux ils disent…’’, ‘‘notre communauté est…’’, ‘‘leur état, celui de Bourguiba, est…’’. Cette allusion à Bourguiba , peu amène, est donc une pointe décochée à Abir Moussi, l’ennemie irréductible.

Un sermon mobilisateur ou séditieux

Le Dr Affès a donc lancé un appel à la mobilisation générale aux ‘‘croyants adeptes de la lecture littérale’’ du Coran, à quitter l’Etat impie, à se regrouper et à revenir aux principes, aux fondamentaux éternels de la vertu de la pureté, à l’ordre divin. Pour peu il croirait lire un sermon de Jan Matthys, le prophète anabaptiste de Münster, du temps de Martin Luther et de Charles Quint. C’est là le propre d’un sermon qu’en d’autres temps on eut pu considérer comme séditieux.

Seulement nous sommes dans un pays où les juges meurent du Covid, c’est vrai, où ils sont mal rémunérés, c’est vrai aussi, où l’Association des Juges, en grève, considère qu’il est de son droit d’exiger (c’est le mot depuis El- Kamour) l’octroi à sa corporation du passeport diplomatique, et où l’apologie du terrorisme n’est pas punie, pour peu que les entreprises terroristes puissent parfois l’être. Et le Docteur Affès en constitue à cet égard l’exemple vivant, et on eut pu même dire incarné pour utiliser la terminologie chrétienne si en tant que musulman la crainte d’être qualifié d’hérétique ne m’avait pas imposé une certaine réserve.

Mais dans un pays qui part en miettes où l’Etat se désagrège, et où les médecins des hôpitaux publiques meurent de chutes dans des cages d’ascenseurs à l’abandon, il est fort probable que ce sermon apporte une bouffée d’oxygène à l’ami de la coalition majoritaire, composée d’Al-Karama, d’Ennahdha et de Qalb Tounès, la seconde Troïka le chef du gouvernement Hichem Mechichi, en détournant l’attention du public vers l’au-delà, et en polarisant le débat, en tous cas au-delà, c’est bien le cas de le dire, des problèmes qu’il est incapable de résoudre, ceux qui depuis dix ans, c’est-à-dire depuis l’arrivée du parti Ennahdha au pouvoir, n’ont fait que s’accumuler.

Une défaite majeure pour les islamistes

Or le parti Ennahdha, lui aussi en butte à des luttes intestines, et embourgeoisé, en s’efforçant d’adopter une attitude qui sied avec sa prétendue défense de la démocratie, est apparu incapable de défendre ses amis de l’Association mondiale des ulémas musulmans, en butte à des meeting quotidiens de protestation devant ses locaux par la société civile conduite par… Abir Moussi, et exigeant le départ du sol tunisien, après le refus de la justice d’en ordonner la fermeture, de cette association étrangère, d’obédience Frères musulmans.

Face à l’ampleur croissante de la mobilisation de la société civile, après le refus de la justice d’en ordonner la fermeture, cette association vient en effet d’annoncer qu’elle allait choisir un autre siège, et ceci constitue une défaite majeure pour les islamistes, appelant une riposte. On peut donc considérer que ce sermon mobilisateur ou séditieux, selon le côté de la barrière dans lequel on se situe, du Docteur Affès, obligé de monter au créneau, s’inscrit dans cette optique de dévolution des rôles entre les membres de la seconde Troïka. On a donc eu le Sermon.

Maintenant on attend le prochain attentat terroriste chargé de nous transmettre la menace de la guerre civile et nous promettant les flammes de l’enfer. Sauf que depuis El-Kamour, la guerre civile, nous y sommes déjà! Il est donc nécessaire de bien comprendre que ce qui est visé, ce n’est pas la cause des femmes, qui n’est que l’arbre qui cache la forêt, c’est le pays dans son ensemble, dans sa défense contre l’infiltration des rouages de l’Etat par les partis au service des intérêts étrangers, qui l’ont conduit au bord du gouffre. L’arbre qui cache la forêt; ne s’agit il pas là plus d’un label Khalil cher à M. Karoui, que halal?

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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