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Tunisie : Les chefs sont en guerre, le peuple peut attendre

Mechichix ne veut rien lâcher à Caius Saidus.

Nous sommes en l’an 10 après Zaba (1). Toute l’assemblée nationale est occupée par des pantins. Toute ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles narquois résiste à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les garnisons de légionnaires des camps retranchés de Carthagonum, Kasbarium, Bardonum et Babsaadounum…

Par Mohsen Redissi *

Le combat des chefs est sur toutes les lèvres; il écrase par le poids et l’ampleur la vie politique et médiatique. Mechichix, le chef du gouvernement, et Caius Saidus, le chef de l’Etat, se livrent depuis plus de trois semaines à un combat de guerre lasse. Ils campent dans leurs oppida (2) ou sous les scuta (3) en formation de tortues surprotégés à décourager toute approche. Tous deux brandissent les articles de la Constitution. Leur seul glaive est leur patience. Ils s’observent de loin. Qui des deux va céder le premier ?

Une raison perdue dans les dédales de la loi

Une première dans l’histoire des guerres. Leurs armées se décomposent en constitutionnalistes comme phalanges, en parlementaires sur les flancs et en partisans en avant-garde qui se livrent des batailles à longueur de journées sur les ondes sonores et visuelles. Le virtuel se taille la part du lion dans des discussions interminables : qui a droit ? Qui a tort ? Chacun va de ses conseils aussi bien pour l’un que pour l’autre ajoutant ainsi une autre brique au mur des lamentations.

Des émissaires se sont rendus auprès des états-majors des belligérants pour essayer de leur faire entendre raison. Une raison perdue dans les dédales de la loi. La crainte de mordre la poussière est plus présente dans les esprits obtus que la raison d’Etat. Chacun sait que la bataille est d’une importance majeure sur le plan politico-juridique. Elle balise le terrain pour une meilleure interprétation des articles de la constitution.

La cohabitation s’est fissurée parce que le capital de confiance entre les deux chefs a beaucoup souffert de cette crise à rebondissements. Le recours aux spécialistes pour éclairer leur lanterne ne fait qu’envenimer une situation rendue difficile et semer la zizanie dans les rangs de leurs légionnaires. Les avis sont partagés et leurs opinions n’engagent qu’eux. L’absence de la plus haute autorité juridique, la Cour constitutionnelle, se fait sentir à chaque instant dans ces moments d’errements. Ses jugements sont sans appel.

Delenda est Carthago

La dernière déclaration fracassante de Mechichix, se définissant comme un commis de l’Etat qui n’abandonne jamais son poste et comme un centurion qui ne déserte jamais, met le chef de l’Etat dans l’embarras. Le soldat tombe sous les pila (4) de ses ennemis sur le champ d’honneur ou il passe sur la croix. Le déshonneur pour lui et sa famille. C’est un coup à faire pâlir les plus fins des tribuns. Désarçonné, deux possibilités s’offrent à l’empereur menacé dans ses retranchements : sonner le clairon de la retraite, ou éliminer le cavalier d’élite. Une erreur fatale serait de rendre coup par coup. Un manque de maturité digne d’un deuxième-classe.

Mechichix est en désarroi, il a peur que le ciel ne lui tombe sur la tête. À bras raccourcis (5), il cherche refuge au Tribunal administratif, son dernier recours, qui vient de livrer son verdict : une vraie massue. L’interprétation de la constitution n’est pas de son ressort. On se tort le cou. On parle d’une échappatoire intelligemment fomentée par le chef après avoir consulté tous les sages et les anciens de son village, le plan B parfait. Le chef du gouvernement va réengager les ministres maudits frappés par le refus de prestation de serment en tant que conseillers auprès du premier ministre en charge du portefeuille dont ils ont été privés, auréolés des privilèges et des prérogatives d’un ministre. Il faut rendre au ministre ce qui appartient à César. Certains nouveaux et anciens ministres seront des ministres écran. Ils cumulent officiellement deux portefeuilles, le leur et le deuxième est laissé aux soins des ministres repêchés par ce détournement. La vengeance est un plat qui se mange froid.

Brutus n’aurait pas pu enfanter un plan aussi diabolique dans son ensemble, mais analysé de près il peut sauver la face des deux chefs sans aucune effusion de sang. Caius Saidus ne revient pas sur son refus de féliciter et de serrer la main des ministres sur qui pèsent des soupçons de fraudes. Le chef du gouvernement n’a pas à passer en revue d’autres listes et d’autres noms propres, qualité devenue rare et difficile à trouver par les temps qui courent. La mauvaise gestion de dossiers sensibles a éclaboussé plusieurs candidats potentiels. Il faut se rendre à l’évidence, le peuple attend des résultats. Salus populi suprema lex esto (6).

* Fonctionnaire international à la retraite.

Notes :
(1) Zine-el-Abidine Ben Ali.
(2) Pluriel d’oppidum, sorte de village fortifié établi par les peuples celtes.
(3) Pluriel de scutum, le bouclier du légionnaire romain.
(4) Pluriel de pilum, javelot romain.
(5) Jeu de mots fait en à Abraracourcix, le chef du village gaulois.
(6) Le bien du peuple est la loi suprême.

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