Dans cette série de chroniques, nous nous en tenons strictement au commandement divin qui exhorte les bonnes spirituelles volontés de faire rappel de valeurs et prescriptions du Coran. Et nous ne doutons point que cette obligation du rappel relève du jihad d’aujourd’hui, l’effort maximal véritable, le jihad akbar, étant donné que l’effort mineur, le jihad asghar est forclos, ayant fait son temps.
Par Farhat Othman *
Aussi ne reste valide et licite aujourd’hui que l’effort contre soi, ses propres pulsions qu’il importe de dominer et de maîtriser tout autant que de veiller au comportement de soi avec autrui, cet autre sans lequel nul ne saurait vivre, et à qui il importe de rappeler ce qu’il pourrait oublier en principes de vivre-ensemble paisible et ce exclusivement par l’exemple à donner en permanence.
C’est bien là l’ijtihad continu, cet effort d’exégèse qui préserve de l’obsolescence la religion droite de la foi musulmane, le maintenant en foi de tout temps présent de par sa nouveauté et son renouvellement continu. Et c’est bien le témoignage islamique qui est le sens authentique du terme du martyre, qui est loin d’être la mort que la vie pour témoigner. Aussi, être martyr en islam, c’est apporter l’information fiable, le dernier mot selon les préceptes du Coran dont il importe de faire entendre et prêcher les vérités, surtout en nos temps où la fausseté prétend se substituer à la vérité. Y a-t-il donc plus vicieuse diablerie ?
Ainsi l’islam est-il cette parole juste en nos temps d’injustice, la foi juste et véritable qui est la parole de justesse. Que serait donc l’islam s’il cette parole juste pour une voix de justesse qui est le sentier divin pour les bienheureux parmi ses fidèles.
Jihad akbar : unique jihad d’aujourd’hui
Relevant d’un temps de confusion axiologique, nous ne manquons pas de faire du tort sans nous en rendre compte à notre foi, faisant intransigeance de ses prescriptions tolérantes, altérant leur humanisme et la facture spirituelle de grand format qu’est l’islam. En effet, il a été pionnier dans la consécration du système des droits humains avant qu’il ne s’impose dans la vie civile des peuples civilisés. Cela lui venait de cette dimension civile s’ajoutant à sa dimension religieuse, puisque l’islam est dual, étant dans le même temps une foi pour l’au-delà et une politique pour l’ici-bas. L’islam n’est, en effet, nullement de simples rites ; il est d’abord et même avant tout une culture.
Or, la culture de notre temps est celle des sentiments en la personne humaine qui a, par nature, une propension au vice qu’il s’agit d’épuiser ; et cela se fait le plus sûrement par la culture des sentiments élevés en l’humain en s’aidant d’une raison sensible, nullement cartésiste, ne se satisfaisant plus des acquis du cartésianisme, celui-là même qui a autorisé l’éclosion de la modernité occidentale, mais se fondant sur les inédits acquis du savoir dans les domaines longtemps ignorés par la science, tels ceux de la psychologie des profondeurs, de l’inconscient et de l’imaginaire.
Tout cela relève désormais en islam de l’effort maximal, le jihad akbar auquel a appelé la religion, se révélant ainsi une modernité par anticipation, précédant la modernité occidentale, par ce que j’ai qualifié du néologisme de rétromodernité. Et il n’est nul doute que le seul jihad licite désormais en islam est le jihad akbar, tout autre effort, dont le jihad mineur, asghar, n’est que banditisme et crimes terroristes du fait de l’absence de la volonté de l’action pieuse qui est l’essence même du jihad.
Le musulman, tout comme tout humain, est de nature grégaire, il est bien un animal grégaire, ce qui veut dire qu’il vit avec, par et pour autrui. Aussi n’a-t-il pas à imposer sa foi sur personne, et avant de se l’imposer à lui-même. De plus, s’il a vocation à l’imposer à son prochain, cela ne peut l’être que par l’exemple insigne, et non par force ou violence. C’est cela l’islam d’aujourd’hui, l’islam postmoderne.
En cette foi musulmane, la volonté de piété chez le fidèle, particulièrement chez le musulman arabe, est cette volonté qui ne contredit pas son génie dans sa propension à la liberté. Aussi, sil elle la contredit, elle n’est plus guère religieuse que dans la forme, d’un point de vue extrapersonnel. En effet, la liberté n’est pas une valeur privative pour lui, mais diffusée entre les gens, partagée par eux, chacun ayant la liberté de vouloir la liberté. Et il s’agit d’une orientation saine qui nous rappelle la définition bien connue de la liberté, celle qui s’arrête là où comme la liberté d’autrui ; tout un chacun ayant sa propre liberté.
L’islam lie la pensée logique spéculative et la conscience de soi
Comme l’écrit Mohammed Hussein Haykal : «la civilisation islamique est basée sur un fondement antinomique avec le fondement de la civilisation occidentale ; car elle est basée sur un fondement spirituel appelant l’humain à une conscience éveillée de sa relation à l’existence et où il s’y situe avant toute autre chose. C’est quand il s’élève dans cette conscience au stade de la foi que cette dernière l’exhorte à persister dans l’épuration de son être, la purification de ses sentiments et la culture pour le cœur et la raison de valeurs nobles et principes supérieurs : fierté, dignité, fraternité, affection, magnanimité, piété. C’est assise sur un tel fondement que s’érige par l’humain sa vie dans ses aspects civils matériels…».
Et le célèbre journaliste et politicien égyptien d’ajouter dans ‘‘La vie de Mohammed’’ : «Le prophète Mohammed a laissé cet immense héritage spirituel qui a marqué l’univers, orientant sa civilisation pendant de nombreux siècles passés, et il continuera encore de le marquer et d’orienter sa civilisation afin que Dieu éclaire le monde de ses lumières… Si une telle civilisation islamique s’est élevée sur une base de principes scientifiques sous le parrainage de la raison, reposant en cela sur ce qui caractérise en nos temps modernes la civilisation occidentale; si l’islam en tant que religion s’est reposé sur la méditation introspective et sur la logique abstraite métaphysique — le lien ne reste pas moins solide entre la foi, ses prescriptions et la civilisation, son fondement. Car l’islam lie la pensée logique spéculative et la conscience de soi, les fondements de la rationalité et les enseignements de la science, établissant entre eux un lien que ne peuvent pas ignorer les musulmans et dont ils n’ont que le choix de quêter, s’y retrouvant en tant que fidèles d’une foi dont c’est le génie même.»
Or, tout cela, comme il le dit aussi, est fonction de ce qui a distingué l’islam de ce qui l’a précédé dans les deux religions monothéistes, soit : «qu’il ne connaît pas d’église ou d’autorité religieuse telle que connue dans le christianisme. Il n’est permis à personne en islam, même le calife, d’imposer quoi que ce soit aux musulmans au nom de la religion ou encore de prétendre avoir la capacité d’obtenir le pardon divin pour quiconque déroge à la Loi religieuse. Pareillement, il n’est permis à personne en islam, même le calife, d’imposer aux musulmans autre chose que ce que Dieu a imposé dans ses Écritures. C’est que les musulmans sont tous égaux devant Dieu, nul ne se distinguant parmi eux sinon par sa piété.»
* Ancien diplomate.
Dans la chronique de demain, nous poursuivrons cette présentation avec la section B et C où il sera dit qu’il s’agit d’ijtihad, cet incessant effort pour une foi à jamais renouvelée et ce dans le cadre d’une parole de justesse qui est la foi authentique.
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