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Front populaire: L’état d’urgence est un coup d’épée dans l’eau

Etat-urgence

L’instauration de l’état d’urgence en Tunisie est néfaste pour le tourisme, le commerce et l’économie. Mais pas seulement…

Par Abdelmajid Mselmi*

La direction du front populaire a publié un communiqué dans lequel elle a critiqué fermement le discours présidentiel du samedi 4 juillet, jugeant l’instauration de l’état d’urgence inutile, incompatible avec la constitution et inefficace pour lutter convenablement contre le terrorisme, et appelant à de mesures fortes et pertinentes pour éradiquer ce danger.

Amalgame dangereux entre luttes sociales et terrorisme

Le communiqué du Front populaire a fermement critiqué l’amalgame qu’a  fait le président de la république entre terrorisme et luttes sociales. Il a mis  dans le même sac les terroristes criminels et les travailleurs qui constituent une force principale de progrès dans notre pays. Au lieu de rassembler toutes les couches sociales sous la bannière de la lutte contre le terrorisme, le discours du président divise les Tunisiens, sape les fondements de la paix sociale et menace  l’unité nationale.

Les grèves et les luttes sociales sont un droit légitime, constitutionnel et universel. C’est un moyen pacifique et civique pratiqué par les travailleurs et les différentes couches sociales dans tout le monde démocratique pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de vie. C’est une nécessité sociétal qui permet d’apaiser la tension sociale et  éviter les exploitions populaires, violentes et généralisées.

Le Front populaire a réitéré son engagement indéfectible dans la lutte contre le terrorisme dont il était lui-même victime et a renouvelé son soutien aux luttes des différentes couches sociales pour améliorer leur conditions de travail et leur pouvoir d’achat.

Décret de l’état d’urgence de 1978: l’ironie de l’histoire

Ce décret répressif et hautement liberticide, jugé à l’époque anticonstitutionnel même par la bouche des proches du pouvoir, a été décidé le jour de la grève générale du 26 janvier 1978 (le «Jeudi noir») qui a connu le 1er grand massacre (des dizaines de martyrs) perpétré par l’Etat national tunisien contre ses citoyens depuis l’indépendance. C’était un tournant historique dans notre pays.

Rappelons pour la petite histoire que les dirigeants actuels du pays s’étaient opposés farouchement à l’époque à ce massacre. Beji Caid Essebsi était alors dans l’opposition à la politique de la «troïka» (Hedi Nouira, Mohamed Sayah et Abdallah Farhat) qui était aux commandes du pays autour de Bourguiba. Le journal ‘‘Erray’’, édité par le courant démocratique incarné par Ahmed Mestiri et Béji Caïd Essebsi et Hassib Ben Ammar, a constitué la principale tribune de ce qu’on appelait la résistance syndicale et démocratique après le massacre du 26 janvier.

Mohamed Ennaceur, actuel président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), était ministre des Affaires sociales et a refusé la ligne dure prônée par la «troïka», qui cherchait à caporaliser l’UGTT et à briser son indépendance et son autonomie. Il a démissionné du gouvernement (il faut le faire sous Bourguiba !) et s’est opposé au massacre du 26 janvier. Quand à Taieb Baccouche, alors membre de la direction de l’UGTT, il a été  incarcéré le 26 janvier avec Habib Achour, leader de la centrale syndicale, et des centaines de dirigeants syndicalistes, puis condamné à 5 ans de prison.

Quand on voit que ces mêmes leaders adoptent, 40 ans après, un décret entaché du sang des Tunisiens et auquel ils s’étaient opposés et dont ils étaient victimes, on peut se demander qui dirige ce pays et dans quelle voie il l’amène

Libertés publiques et liberté de la presse : une ligne rouge

Sur le plan juridique, ce décret est trop controversé. Plusieurs juristes le considèrent  comme anticonstitutionnel et caduque.

Mais la crainte majeure, face à ce décret, provient de sa portée liberticide. Il peut, en effet, constituer, une menacer pour les libertés individuelles et collectives, tels que le droit à la grève, le droit au rassemblement et aux activités des partis et des associations. Il peut aussi légitimer les pratiques arbitraires. Pour le Front populaire, les libertés sont une ligne rouge et il n’est pas question d’y toucher sous prétexte de lutter contre le terrorisme. Au contraire, cette guerre ne peut être gagnée qu’avec la participation d’un peuple libre, vivant dans un Etat de droit et dans un environnement de liberté et de démocratie. Toute forme de répression ne peut qu’alimenter les doutes chez les citoyens et entraver leur adhésion à cette guerre.

Le communiqué du Front populaire a exprimé une inquiétude particulière quant au sort de la liberté de la presse au vu de la position ambiguë et confuse du discours présidentiel sur ce sujet. Les intimidations et l’usage exagéré et disproportionné de la force juridique vis-à-vis des journalistes Insaf Boughdiri, Mouldi Zouabi Soufiane Ben Hamida Hamza Belloumi et Noureddine Mbarki sont des mauvais signes. Le Front populaire a, d’ailleurs, exprimé son soutien aux journalistes et son engagement à défendre bec et ongles les libertés en général et la liberté de la presse en particulier.

L’état d’urgence : un problème et nullement une solution

Pour le Front populaire, l’instauration de l’état d’urgence est tout d’abord non conforme aux articles 49 et 80 de la constitution. Cet avis est partagé par beaucoup d’experts. D’autre part, il considère que cette décision est néfaste pour le tourisme, le commerce et l’économie en général, car elle donne un très mauvais message à l’intérieur comme à l’extérieur et nourrit les craintes et les soupçons de ceux qui auraient l’intention d’investir ou même de visiter notre pays.

Cette décision est, également, inutile et inadaptée à la situation et ne porte aucune  disposition particulière pour lutter contre le terrorisme sauf les restrictions des libertés. D’ailleurs, ce n’était pas l’objectif du décret de 1978 car, à l’époque, il n’y avait pas de terrorisme.

Ainsi ce décret est triplement dépassé : sur le plan juridique, sur le plan du contenu  et sur le plan historique. Est-ce que le génie tunisien est tellement stérile qu’il a fallu chercher au fond des archives un tel maudit décret ?? Au lieu des annonces tonitruantes vides de tout contenu, il aurait fallu présenter des mesures sécuritaires pratiques ou au mieux un plan de vigilance avec plusieurs degrés, dont chacun comporte des dispositions particulières, selon la gravite de la situation, à l’instar du plan Vigipirate en France. Car notre pays qui est en guerre contre le terrorisme ne possède pas encore un tel plan et il est temps d’en avoir. Sinon nous allons encore compter nos victimes.

* Membre du Front populaire.

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