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Les Allemands, leur vérité et leur réconciliation

Berlin

Impressions de voyage à Berlin, sur les traces d’un passé innommable et inhumain que les Allemands ne veulent plus revoir surgir…

Par Dr Lilia Bouguira

Un pays aux quatre-vingt millions d’habitants. Première puissance économique d’Europe avec son taux de chômage le plus bas parmi les 28 États membres de l’Union européenne (UE). Quatrième puissance dans le monde en affichant un niveau de vie «très élevé», l’Allemagne est l’un des pays les plus appréciés du monde (sondages à la BBC en mai 2013 et au GfK en novembre 2014). Elle reste la deuxième destination d’immigration la plus prisée dans le monde, après les États-Unis.

Un pays où il fait bon vivre et où les autorités ont ouvert récemment de manière héroïque leurs portes récemment aux réfugiés syriens comme à ceux «de la dernière chance» à Marienfelde.

Un pays aux immenses buildings, gigantesques voies ferrées, aux parcs et fleuves tentaculaires sans oublier cette unanime et profonde beauté qui font d’un pays une superbe étoile dans notre monde actuel.

La nouvelle identité berlinoise

En marchant dans les rues de Berlin et en squattant Prenzlauer Berg, Friedrichshain et Kreuzberg, je découvre la magie des alliances et la douceur de vie à Berlin. Je m’aventure au cœur de quartiers qui portent la nouvelle identité berlinoise. De vrais poumons récréatifs d’une Allemagne nouvelle et attractive.

Ici les briques abritent la culture, les parcs portent les traces de l’histoire et le cœur de Berlin palpite là où l’on l’attend le moins.

Chaque tournant de vieille rue raconte le passé identifiant l’innommable, poursuivant l’inhumain pour ne plus le revoir surgir et hanter les Allemands…

Hitler

Le 3e Reich, synonyme d’atrocités et de crimes immondes.

Un véritable laboratoire architectural de la réunification, le nouveau Berlin reconnecte entre eux les espaces urbains que séparait le Mur. À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la ville a été divisée en deux, la partie est devenant la capitale de la RDA, régime socialiste sous influence soviétique, et la partie ouest appelée «l’ilot du monde libre» sous l’autorité des alliés. La séparation a été lourdement cimentée en 1961 par le rideau de fer et la construction du Mur.

Un mur bétonnant au passage plus de cent vingt morts tués à bout portant pour avoir tenté d’escalader le mur et fuir la terreur communiste.

Un no man’s land construit sur 165 km de long sur une hauteur de plus de trois mètres par la manne du régime communiste et sous le silence ambigu des alliés coupant l’Allemagne en deux pendant près de trente ans.

Un mémorial du Mur atteste de la véracité du passé, des souffrances d’un peuple partagé entre l’opulence d’un capitalisme dévorant et l’oppression d’une manne communiste sans précédent.

La «Révolution Pacifique» de 1989 sur Alexanderplatz a provoqué la chute du Mur réconciliant définitivement les deux Allemagnes.

A l’East Side Gallery, seul morceau du mur conservé sur 1,5 km, l’éternelle fresque de Dimitri Vrubel ‘‘Le baiser de l’amitié’’ en reste un formidable témoin.

Au détour de deux rues en plein cœur de Berlin siège l’inimaginable de toute l’histoire de l’Allemagne et ma foi de toute l’humanité en petit.

La topographie de la terreur

Sous le troisième Reich, le siège de la Gestapo : la police secrète, la direction de la SS, et l’Office central du Reich, autrement dit les trois institutions clés du régime nazi y étaient regroupées. A la topographie de la terreur ou le «lieu des bourreaux» se racontent les atrocités et crimes subis par les victimes de la Gestapo du régime nazi. La voie ferrée 17 et ses plaques de fonte témoignent douloureusement des noms de personnes déportées en Allemagne et au reste de l’Europe dans des trains de la mort pour la solution finale.

Curieuse, captive de mes attaches, je défie mon programme de travail pour faire un détour à un de ces camps. Oranienburg-Sachsenhausen est un camp de concentration modèle construit à une trentaine de kms de Berlin dont l’architecture triangulaire est à même de montrer la suprématie de l’idéologie nazie. Pour y former les futurs chefs de camp ainsi que les SS responsables des camps de concentration et enfin y accueillir le siège de l’Inspection des camps de concentration.

camp-de-concentration-en-Allemagne

Travaux forcés, tortures, conditions sanitaires inhumaines, malnutrition et maladies dans les camps de concentration nazis.

Je franchis la porte avec son effroyable enseigne «Arbeit macht frei» ou «le travail rend libre».

La dictature allemande, tour à tour sous les nazis ou les communistes a réduit les hommes libres. Des humains justes différents soit par leurs idéologies politiques ou religieuses ou encore par leur statut social misérable ou encore par leur excentricité tel que les homosexuels, les repris de justice, des prisonniers du service spécial de la Wehrmacht, les handicapés, les infirmes, les Roms et les Tsiganes.

Le traitement 25, le traitement spécial affecté aux commandos, la guillotine, le tir dans la nuque achevaient les hommes de plus en plus réduits.

Travaux forcés, tortures, conditions sanitaires inhumaines, malnutrition et maladies vinrent à bout de plus de 10.000 détenus qui y trouvèrent la mort.

Gazage, exécutions et expériences médicales des plus sordides sur les êtres les plus vulnérables comme les femmes, malades et enfants.

Les sanglots du petit enfant juif de huit ans déporté d’Auschwitz sur cette paillasse blanche de la baraque 35 continuent à me hanter. Un médecin criminel inoculait à vif par voie rectoscopique puis par des ponctions lombaires le virus de l’hépatite.

J’arpente difficilement la station «Z». Des visages d’outre-tombe se tenant la gorge par deux mains en manque d’air font grand écran dans ma tête. Meurtris d’émoi et d’asphyxie par le gazage inopiné au Zyklon B, empilés les uns sur les autres à la recherche d’air non toxique, les plus faibles vieillards et enfants en dessous.

Je passe en revue les fosses communes, la prison dans ce haut lieu de concentration, les laboratoires de stérilisation et de castration massives, le four crématoire pour faire disparaître les corps et le nombre de personnes incinérées.

Tragédie des plus sordides de l’histoire de l’Allemagne.

Tragédie noire et au sang dépassant la fiction.

Mur-de-Berlin

En 1989, un Mur tombe, un peuple retrouve son unité.

La bouteille à la terre

Plus de trois millions de juifs massacrés à l’holocauste sur un total de plus de six millions de victimes toutes confondues dont 100.000 au camp d’Oranienburg seul.

Je ne m’arrêterai pas assez à la baraque 22 aménagée en cuisine du camp et où un semblant de vie gagnait sur la mort. Des fresques gravées sur les murs reproduisaient à jamais des fruits et légumes en couleur et en mouvement dans ces lieux endeuillés de larmes et des pires atrocités.

Je n’oublierai pas pour clore ce terrible voyage dans le passé «la bouteille à la terre» et son contenu. «Je voudrais retourner chez moi. Quand reverrai-je mes proches à Cologne ? Mais mon âme n’est pas brisée. Tout ira bientôt mieux», avait écrit au crayon, le 19 avril 1944, Anton E. et roulé dans une bouteille qu’il enfouit dans un mur qu’un ouvrier a déterré accidentellement en 2003 bien des années plus tard.

Ce n’était point un appel à l’aide puisqu’il l’avait caché dans la terre mais un message témoin pour le futur.

Un message pour les générations futures.

Un message pour les dictatures naissantes.

Un message pour les hommes charognards.

Un message pour nous pour qu’on n’oublie.

Si je tiens tellement à partager ces voyages dans le temps et dans l’espace, c’est pour espérer qu’un jour prochain mon pays assoira la démocratie à travers une justice transitionnelle. Non pas vindicative et prisonnière de  luttes intestines mais libératrice et combien réparatrice empêchant le passé de se répéter. C’est en faisant ces voyages difficiles et impossibles dans la nature humaine que nous arriverons à écarter le bon de l’ivraie  et faire de notre pays une fierté.

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