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Le tourisme tunisien à réformer ou à refonder ?

Tourisme-alternatif

L’ampleur de la crise que traverse le tourisme en Tunisie suscite des interrogations sur l’avenir de ce secteur vital pour l’économie du pays.

Par Wajdi Msaed

Ces interrogations ont été au centre d’une table-ronde organisée par le Cercle Kheireddine, le 20 novembre dernier, à laquelle ont pris part plusieurs professionnels du secteur, dont notamment Slim Tlatli, Ahmed Smaoui et Tijani Haddad (trois anciens ministres en charge du secteur sous le règne de Ben Ali), Mohamed Ali Toumi, président de la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV), Chakib Nouira, ancien banquier qui en sait un bout sur l’endettement des hôteliers, ou encore Zouhair Ben Jemaâ, consultant en tourisme et hôtellerie…

Des clignotants au rouge

Ce débat s’est imposé suite aux attentats du musée du Bardo, en mars dernier, et à l’hôtel Riu Marhaba à Sousse, en juin, qui ont aggravé la crise du tourisme dans le pays. Et douloureuse coïncidence : il a eu lieu 4 jours avant l’attentat au centre-ville de Tunis, le 24 novembre, qui n’a pas manqué de brouiller davantage l’image de la destination Tunisie, déjà effacée du tableau de bord des tours opérateurs internationaux.

Ces attentats, soldés par plusieurs dizaines de morts et de blessés, en majorité des touristes, ont gravement impacté notre industrie touristique que ce soit au niveau du booking (rapatriement des clients, annulation des réservations…) que celui des activités annexes (artisanat, petit commerce, services divers…)

Le premier intervenant, Slim Tlatli, a brossé un tableau alarmant d’un secteur malade en quête d’une thérapie qui le soulagerait à court terme et lui insufflerait, à moyen terme, le sang nouveau dont il a besoin. Tous les indicateurs sont, en effet, au rouge: baisse des nuitées (-50%), des recettes (-45%), du taux d’occupation (-30%)… A cela s’ajoute la fermeture en cascade des hôtels (234 totalisant 100.000 lits) et un important manque à gagner pour les 350.000 opérateurs de l’artisanat, dont beaucoup sont condamnés au chômage, des dettes cumulés de 4 milliards de dinars et la baisse de moitié la participation du secteur au PIB, qui est passée de 8 à 4%.

Des mesures restées «lettre morte»

Malgré les mesures prises par le gouvernement pour venir en aide aux opérateurs du tourisme après l’attentat de Sousse pour les aider à faire face aux conséquences d’une très mauvaise saison touristique, le secteur n’a pu reprendre son souffle, surtout que ces mesures n’ont pu être mises en route, à cause notamment des conditions qui les ont vidées de tout contenu.

La crise du secteur incombe aussi aux opérateurs eux-mêmes, qui doivent se rendre à l’évidence que le marché a changé, que le client a de nouvelles exigences, que les modes de distribution et de commercialisation ont beaucoup évolué, alors qu’une grande capacité du marché est détenue par les opérateurs étrangers qui ont fait de Tunisie la destination la moins chère au monde avec un bradage des prix jamais atteint.

Aussi, et malgré les atouts touristiques dont dispose la Tunisie (proximité géographique du marché européen, diversité des paysages naturels, douceur du climat, richesse de l’histoire et du patrimoine, etc.), le pays continue à être mal vendu, à cause d’une stratégie de marketing peu adaptée aux réalités du marché et d’une activité qui souffre, de plus en plus, d’une gouvernance obsolète, qui n’a pas changé depuis plus de 40 ans.

Pistes pour sortir de la crise

La situation du tourisme tunisien est donc déjà alarmante, mais on peut craindre que tous ces facteurs négatifs évoqués participent à l’amplification de la crise et que celle-ci s’inscrive dans la durée, notamment après l’attaque terroriste contre le bus de la sécurité présidentielle, le 24 avril dernier, à Tunis, qui a fait 12 morts et une vingtaine de blessés.

L’intervention d’Ahmed Smaoui, vieux routier du secteur, a cependant apporté une lueur d’espoir en se focalisant sur les pistes d’avenir et les stratégies à adopter pour assurer la relance du secteur.

Cette relance est réalisable, estime M. Smaoui, si l’on concentre les efforts sur l’investissement, par la mise à niveau des structures existantes, dont la majorité est âgée de plus de 35 ans, et la restructuration des entreprises en difficulté. Il convient aussi de développer davantage le segment balnéaire, d’améliorer les structures d’accueil et de créer des foyers d’animation dans les régions.

On devrait, par ailleurs, diversifier l’offre, notamment en matière d’hébergement, segment dont la réglementation doit être révisée pour assurer un contrôle plus rigoureux des nouveaux types d’hébergement (maisons d’hôtes, gîtes, etc.).

La diversification des marchés, autre point focal de la restructuration du secteur, n’a été évoquée que de manière passagère, lorsque le président de la FTAV a exposé les grandes lignes d’une stratégie marketing et de commercialisation en direction des nouveaux marchés porteurs.

Cap sur de nouveaux marchés

L’Europe demeure certes notre premier marché touristique, mais le Vieux continent est en crise. Ce qui nous incite à aller explorer de nouveaux marchés surtout dans l’est asiatique, et plus particulièrement en Chine, qui compte  plus de 1,5 milliard d’habitants, dont pas moins de 100 millions voyagent chaque année.

Cette piste a déjà été explorée par la Tunisie, qui a signé un protocole-cadre avec la Chine au début des années 2000, visant à faire de notre pays une destination touristique privilégiée pour un potentiel de 100.000 touristes chinois chaque année. Il a même été question de permettre aux clients chinois d’atterrir en Italie, avant de poursuivre leur voyage en Tunisie pour un séjour touristique, aussi court soit-il, Tunis étant à une 1 heure et demi de vol de Rome.

Cette piste doit être réactivée de nouveau. Et la ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Selma Elloumi-Rekik, en est d’ailleurs consciente. N’a-t-elle pas annoncé, lors de la 4e Conférence internationale de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) tenue récemment en Tunisie, la création de centres spécialisés dans la formation d’agents qualifiés dans les services destinés à la clientèle chinoise. C’est là le signe que l’on s’intéresse désormais à ce nouveau marché prometteur et que les professionnels commencent à s’orienter sérieusement vers d’autres niches.

Notons, enfin, que le Cercle Kheireddine est un centre d’études et de réflexion, qui se veut aussi un espace de dialogue, d’échange et de débat et une force de proposition pour mettre à la disposition des décideurs des programmes et des plans d’action sur des sujets de politique publique de développement.

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