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Justice transitionnelle : Les réserves juridique de l’ATDF

Chiboub- IVD- reconciliation

Dans le communiqué ci-dessous, l’Association tunisienne du droit des affaires (ATDF) émet des réserves juridiques sur la procédure de réconciliation dans le cadre de la justice transitionnelle.

Un premier accord de principe d’arbitrage et de réconciliation, conclu dans le cadre de la justice transitionnelle, a été signé jeudi dernier au siège de l’Instance Vérité et Dignité, entre le chef du contentieux de l’Etat agissant pour le compte du ministère des domaines de l’Etat et des Affaires foncières et Mohamed Slim Chiboub, suite à la démarche initiée par ce dernier sollicitant l’application à son égard des principes et dispositions de la justice transitionnelle.

D’après les déclarations faites à l’agence Tunis Afrique Presse, par le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, le but recherché à travers cet accord de principe est d’arrêter le montant réel des sommes détournées et de faire toute la lumière sur la vérité à travers des négociations marquées par des demandes de pardon exprimées en public.

Cet accord sur le principe de la réconciliation ne manque pas de soulever un certain nombre d’interrogations, dont la plus importante a trait à l’intérêt escompté de sa conclusion, quand on sait que l’Etat s’est fait indemniser par le biais de la procédure de la confiscation.

Il se posera également la question de savoir, si le chef du contentieux de l’Etat est autorisé de ce fait à conclure un tel accord, à transiger et à renoncer au droit de la communauté nationale de récupérer ce qui lui a été indûment arraché.
Sur un autre plan enfin, il est permis de se demander si l’Instance Vérité et Dignité (IVD) peut se permettre de déclarer recevables des plaintes et des requêtes frappées de prescription par l’effet de la loi et les textes réglementaires régissant la matière.

I- Absence de tout intérêt attaché à la conclusion d’un tel accord de réconciliation

Ce qui a probablement échappé au chef du contentieux de l’Etat au cours et à l’occasion de la conclusion d’un tel accord de principe, c’est que les valeurs, liquidités et biens appartenant à l’auteur présumé des faits incriminés a fait l’objet d’une procédure de confiscation en application du décret-loi n° 13 /2011 daté du 14 mars 2013.

Cette confiscation s’étend à la totalité des biens meubles et immeubles et les droits acquis après le 7 novembre 1987. Elle s’applique aux personnes citées dans la liste annexée au décret- loi, personnes parmi lesquelles figure l’intéressé.

Quel est donc au vu de ce qui précède l’intérêt d’un tel accord, alors que les biens de l’intéressé sont devenus propriété de l’Etat par la volonté de la loi, sachant que l’auteur présumé des faits incriminés a, par suite de la confiscation opérée, perdu tout pouvoir de gestion et de disposition sur de tels biens?

La confiscation consiste en effet à transférer à l’Etat les biens et valeurs appartenant aux personnes mises en cause par la force obligatoire de la loi et sans contrepartie aucune.

En outre la confiscation est une revendication et une exigence nées de la révolution et traduit dans les faits l’aspiration de la communauté nationale à reprendre les droits supposés spoliés et dont le plus important, à côté de la dignité, est celui relatif à la réappropriation des biens meubles et immeubles mal acquis par les personnes ayant commis des abus de pouvoir ou tiré profit de leur influence ou de liens de parenté avec l’ex-président de la république.

Le décret- loi sur la confiscation consacre donc ce droit pour le peuple de récupérer son patrimoine situé sur le territoire national ou transféré à l’étranger.

Est-il concevable d’envisager alors une réconciliation dont l’objet porte sur des biens devenus propriété de l’Etat?

Nous considérons donc en tant qu’Association tunisienne du droit des affaires (ATDF) que si l’auteur des abus est en droit de recourir à l’IVD pour permettre le questionnement, l’établissement de la vérité et ensuite comparaitre, le cas échéant, devant les juridictions compétentes, il n’en demeure pas moins que le recours à l’arbitrage et la réconciliation n’est pas fondé, car l’Etat s’est déjà fait justice lui-même par le biais de la confiscation qui a dépossédé l’auteur des abus des biens indûment acquis et l’a privé de l’exercice de tout droit pouvant porter sur eux .

II Le chef du contentieux de l’Etat n’est pas habilité à conclure cet accord

Le chef du contentieux de l’Etat n’est pas habilité à conclure cet accord, et il ne peut le conclure que si les dispositions légales et réglementaires traitant de la confiscation et de ses effets ne sont plus en vigueur et ont été annulées ou abrogées. Or l’hypothèse de leur abrogation ne paraît pas envisageable en l’état actuel des choses.

La conclusion de cet accord est une forme de renonciation par l’Etat à l’exercice de son droit de récupérer des biens qui auraient peut-être été acquis de manière douteuse, voire illicite, au préjudice de la communauté nationale.

Il serait dans ces conditions plus indiqué de mettre en œuvre le décret-loi sur la confiscation en veillant à récupérer l’argent et les biens, en Tunisie et à l’étranger, appartenant à l’auteur présumé des abus et en amenant celui-ci à coopérer avec les institutions de l’Etat à cette fin.

Dans ce même ordre d’idées, il est nécessaire d’attitre l’attention des autorités sur l’obligation de respecter la loi en mettant de côté les considérations politiciennes, étroites par définition, car l’effort national est orienté vers la création et la consolidation de l’Etat de droit et des institutions avec l’impératif d’indépendance et de respect des valeurs morales que cette création et consolidation imposent dans l’application des dispositions légales et réglementaires.

III- Prescription des délais de présentation des requêtes

L’ article 40 de la loi n°53-2013 du 24 décembre 2013 ayant instauré la justice transitionnelle et précisé les prérogatives des membres de l’IVD, dispose que les plaintes et requêtes relatives aux abus doivent obligatoirement être présentées au cours de l’année qui suit le début de l’activité de l’Instance avec la possibilité donnée à celle-ci de prolonger cette période de 6 mois maximum .

De son côté, le décret n°1872-2013 du 30 mai 2014 relatif à la nomination des membres de l’IVD les a appelés à tenir leur première réunion le mardi 17 juin 2015 à 9 heures du matin, au siège du ministère de la Justice, des Droits de l’homme et de la Justice transitionnelle au Bardo.

Par application des dispositions précitées, les requêtes peuvent être présentées dans une première étape jusqu’au 16 juin 2015 et, en cas de prolongation dans les conditions précédemment décrites, dans un délai n’excédent pas le 16 décembre 2015 dans la deuxième et dernière étape.

Ces dispositions doivent être appliquées et ne peuvent être interprétées.

Ainsi les délais de dépôts des plaintes et requêtes cités plus haut ne peuvent être prorogés car ils sont d’ordre public.

Si le législateur a tenu à fixer la date de la première réunion, c’est par souci de contrôler les délais et d’accélérer les travaux de l’IVD, compte tenu du fait que les dispositions qui la régissent sont exceptionnelles et spéciales et dont la durée doit pour ces considérations être limitée, de sorte que l’IVD ne soit pas habilitée à examiner les requêtes parvenues après la date butoir du 16 décembre 2015.

Au cas où malgré cette interdiction, les requêtes déposées au delà de cette date, sont examinées par l’IVD, cet examen sera considéré illégal et sera sanctionné par la nullité.

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