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Les feuilletons de ramadan : Une débauche de fiction!

Feuilletons-Ramadan-2016

Les feuilletons télévisés présentés au cours du mois de ramadan reflètent-elle les mutations actuelles de la société tunisienne ou n’en sont-elles qu’un simple reflet déformant?

Par Nadya B’chir

Ramadan est le mois par excellence de la production des feuilletons et séries télévisés, en tout cas en Tunisie et dans certains autres pays du monde arabo-islamique. Le reste de l’année c’est la diète (ou presque) en matière de dramatiques télévisés. Alors on lâche son fou et on s’abandonne à la confection des histoires et des scénarios les plus extravagants et les plus palpitants. Dans le genre drame, trois chaînes tunisiennes se disputent la vedette de qui fait plus dans le croustillant, le moderniste et même l’égrillard: El-Hiwar Ettounsi, Wataniya 1 et Hannibal TV.

Débauche, corruption et libertinage débridé

Trois chaînes, trois styles et un constat identique en ce qui concerne l’image présentée de la famille tunisienne, de son comportement et de ses mœurs. L’histoire, les personnages, le cadre spatial, le décor, le cadre émotionnel et le message transmis sont loin d’être prodigieusement dissemblables et les similitudes apparaissent rapidement dès les premières scènes. Des traits de caractères sautent d’emblée aux yeux et interpellent le téléspectateur: la débauche, l’indiscipline et la désinvolture, qui caractérisent des personnages, surtout féminins. En effet, on voit souvent, dans ces feuilletons, des séquences où la femme (qu’elle soit fille, mère ou épouse) est souvent dépeinte comme une personne de petite vertu, corrompue, sans moralité et livrée à un libertinage débridé.

Dans ‘‘Awled Moufida’’ réalisé par Sami Fehri et diffusé sur El-Hiwar Ettounsi, quatre des personnages principaux féminins présentent des caractères de personnes ayant des mœurs légères sinon carrément dissolues. La première est une mère de trois garçons, et bien qu’elle soit décrite comme une mère courage, qui a su faire preuve d’abnégation et de sacrifice de soi pour assurer l’éducation de ses fils, l’aspect prépondérant de son personnage demeure celui d’avoir eu un enfant hors mariage et suite à une relation adultère. Bref, c’est une épouse infidèle, qui a eu un moment d’égarement dont elle a continué à payer les frais de longues années durant.

Dans le même feuilleton, le téléspectateur fait également la connaissance de deux sœurs, l’une aussi dépravée que l’autre : l’aînée vole à la cadette son fiancé et celle-ci déverse sa rancune sur ses propres parents usant d’irrespect, d’impudeur et de mensonges.

L’autre personnage, qui appartient à cette même catégorie de dévergondés, c’est celui d’une mère célibataire ayant choisi le chemin du racolage et de la prostitution, abandonnant son enfant pour courir derrière l’argent facile. Même lorsqu’elle revient sur ses pas et reprend son statut de mère, elle poursuit sa descente dans l’enfer de la dépravation en usant de drogue, qui plus est, en présence de son fils. C’est dire l’air affligé que l’on est censé avoir face à une telle galerie de personnages si peu recommandables!

Sensationnel, raccourcis et recherche d’audience

Ces réalités et ces personnages existent sans doute dans la société tunisienne, qui n’est pas plus vertueuse ni plus dépravée qu’une autre, et les secrets de famille, on le sait, sont jalousement gardés et entourés de tabous et de préjugés sévères. On est, cependant, en droit de s’interroger sur la motivation derrière une présentation aussi négative ou franchement dépréciative des personnages féminins, sans qu’une morale n’en soit finalement tirée.

La femme tunisienne peut être adultère ou encore commettre toutes les bêtises du monde, mais on a du mal à la retrouver dans les personnages qui nous sont présentés dans les feuilletons télévisés qui, à trop chercher l’audience, tombent dans la facilité des raccourcis et de la recherche du sensationnel. Or, on le sait, dans le domaine dramatique, sans une identification des téléspectateurs aux personnages présentés, on ne peut pas parler de réussite.

Dans ‘‘Warda ou Kteb’’ diffusé sur Watanyia 1, la chaîne publique, le téléspectateur retrouve, à peu de différences près, la même atmosphère. Une fille à la fleur de l’âge, cependant pourrie et gâtée, se laisse traîner sur la voie de la débauche avec une facilité déconcertante. Ce personnage censé représenter la jeunesse féminine offre pourtant une image des plus négatives de l’émancipation de la femme dans une société pourtant réputée pour son conservatisme.

Dans ce feuilleton, jeunesse rime presque avec débauche et le comportement du personnage central, irrespectueux et désobligeant vis-à-vis de ses parents devenus scandaleusement démissionnaires, a de quoi dérouter et même choquer les âmes les plus libérales.

Certes, la jeunesse, et pas seulement tunisienne, est rebelle et réfractaire, parfois même impudique dans ses excès, mais il y a toujours, dans la vie et en société, des éclaireurs et des guides qui remettent les égarés sur les rails. C’est ce qui a manqué aux histoires qui nous ont été racontées par les feuilletons et série télévisées de ce mois de ramadan et qui ont beaucoup sacrifié au voyeurisme social, en nous en mettant plein les yeux!

Des œuvres de fiction dites-vous?

Dans ‘‘Alakaber’’, réalisé par Medih Belaid et diffusé sur Hannibal TV, le personnage féminin principal, incarné par une star du petit écran, brosse le profil d’une mère femme d’affaires, dominante, matriarche et mafieuse. Une mère dont le profil bouscule les codes et les conventions en se présentant comme la cheffe de famille, qui s’attribue les pleins pouvoirs pour gérer, comme elle l’entend, la vie de ses enfants, les précipitant dans les plus sales situations.

Une mère qui, à contrario de l’instinct maternel, n’hésite pas à plonger dans des affaires louches et ténébreuses. Bref une femme, une épouse et une mère qui n’inspire aucune tendresse! On est dans le contre-pied, le contre-emploi ou le contre-sens. On ne sait pas où l’auteur a voulu en venir. Nous émouvoir ou nous effrayer, nous donner à réfléchir ou nous choquer…

Ce qui pose la question de la finalité poursuivie par les productions dramatiques dont on s’empiffre et se goinfre – sans jeu de mot – durant le mois de ramadan. Sont-elles tenues de refléter l’état d’une société en en donnant une image plus ou moins fidèle et crédible, aussi crue et brutale soit-elle ? Ou doivent-elles être prises pour ce qu’elles sont, à savoir des œuvres de fiction fruit d’un imaginaire débridé, mais où l’imagination, tout en rejoignant parfois la réalité, la dépasse nécessairement?

Il est préférable de retenir cette seconde explication… pour ne pas désespérer de la société tunisienne.

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