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Coup d’état en Turquie : Quels enseignements pour la Tunisie?

Putsch-Turquie-ban

Le coup d’Etat militaire avorté en Turquie, dans la nuit du vendredi à samedi, nous apporte des leçons sur les relations entre l’Etat, l’armée et le peuple.

Par Mohamed Nafti *

Tard dans la soirée du vendredi 15 juillet 2016, le Premier ministre turc fait état d’une tentative de coup d’Etat déclenché par une faction de l’armée. Quelques instants plus tard, le porte-parole des militaires putschistes annonce dans un communiqué publié sur internet que l’armée vient de prendre le pouvoir et que le but de leur action est «d’instaurer la paix et la démocratie». Vers minuit, le président turc Erdogan s’adresse, via la chaîne d’information CNN-Turk, à la population pour l’appeler à descendre dans les rues pour défendre la nation et pour dénoncer cet acte de «trahison» qu’il impute à une «minorité au sein de l’armée». Il parle aussi de «soulèvement dans le lequel l’Etat parallèle a également une part», faisant allusion à son ennemi juré, le prédicateur Fethullah Gûlen, exilé aux Etats-Unis.

L’instabilité régionale

Samedi, au petit matin, le Premier ministre turc affirme que la situation est sous le contrôle du gouvernement. Le président turc félicite la population descendue par millions pour s’opposer aux putschistes.

Au cours des affrontements, pas moins de 161 personnes sont tuées, parmi les forces de police, la population civile et les putschistes, et environ 1440 blessés évacués sur les hôpitaux. On annonce l’arrestation de 1500 putschistes, dont beaucoup se sont rendus aux forces de l’ordre. La situation semble encore confuse, mais, en fin de matinée, tout rentre dans l’ordre.

A la fin de la journée, on parlera de 265 morts, 1440 blessés, 2800 militaires arrêtés, dont le général Erdal Ozturk, le commandant de la 3e armée, et 2745 juges démis de leurs fonctions.

Quelles leçons peut-on tirer à chaud de cet événement ?

La situation d’instabilité, qui règne sur les frontières de la Turquie, depuis 2003 (guerre en Irak), amplifiée par la guerre civile en Syrie et le conflit kurde depuis l’avènement du printemps arabe en 2011, et l’entrée en scène en 2014 de l’Etat islamique (EI, Daech), pourrait être à l’origine des malheurs qui se sont succédé dans de ce pays depuis le début de cette année. Mais ce qu’on pourrait retenir de positif et mettre à l’actif de la Turquie c’est le leadership de son président Recep Tayyip Erdogan et le comportement de la population civile.

Souvent les malheurs d’un pays sont fécondés chez ses voisins. Les frontières instables génèrent des risques qui avec le temps produisent des dangers et exposent le territoire national à des dommages et des dégâts incalculables. Ainsi, cette année, la Turquie a été le théâtre d’une vague d’attentats revendiqués par l’EI ou les rebelles kurdes, faisant un grand nombre de victimes civiles et d’importantes pertes matérielles. Le dernier en date a été perpétré le 28 juin 2016 à l’aéroport d’Istanbul, a coûté la vie à 41 civils et entraîné de nombreux blessés. Des actes terroristes qui n’ont pas causé moins de préjudices au moral de la population et à l’économie de l’Etat. Des terroristes, à la solde de pays étrangers hostiles ou d’organisations terroristes, qui traversent une frontière poreuse pour frapper là où ils veulent. C’est la première leçon que notre pays ne doit pas ignorer. La situation en Libye n’est guère rassurante et la vigilance est conseillée.

La situation d’instabilité des voisins de la Turquie et la politique du gouvernement dans la gestion des situations sur les frontières pourraient être la cause d’un état de mécontentement au sein d’une minorité politisée des forces armées. Un signe qui pourrait être exploité par un parti d’opposition et inciter à la révolte et au coup d’Etat. L’armée turque a une grande tradition guerrière et les militaires vouent un grand attachement à leur patrie. Mais, la politique au sein de l’armée n’est pas souvent salutaire. C’est la deuxième leçon à retenir par les honorables députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et réfléchir deux fois avant d’accorder le droit de vote aux militaires, un cadeau empoisonné.

Le leadership politique

Une autre leçon pourrait aussi être retenue du coup d’état avorté en Turquie : elle concerne le leadership politique. Dans une pareille situation, un moment très critique et difficile, où l’on assiste à une rébellion de l’armée (la situation n’était pas claire au début, si c’était l’armée ou une faction minoritaire), la gestion de l’événement demande beaucoup de courage et de calme de la part du président de la république pour prendre les mesures adéquates. Erdogan n’a pas fui le pays, n’a pas demandé l’asile à l’Allemagne et n’a pas pris l’avion pour regagner les lieux saints, comme l’a colporté la rumeur durant ces heures folles. Il a parlé à la population et lui a demandé de descendre dans les rues pour défendre la nation et pris l’avion pour atterrir à Istanbul au cœur même de la rébellion. Cette leçon de courage est également à retenir par nos leaders politiques.

La population a répondu présente à l’appel de son président et est descendue par millions dans les places publiques pour dénoncer le coup d’Etat. Les citoyens scandaient ‘‘Allah Akbar’’ et ‘‘Vive la patrie’’. Ils ne criaient pas ‘‘Vive Erdogan’’ et ne portaient aucun drapeau autre que celui de la nation. Le comportement de la population était exemplaire et aucun acte de vandalisme n’a été signalé. C’est la quatrième leçon à retenir.

Le coup d’Etat avorté en Turquie souligne des points qu’il ne faut jamais perdre de vue. Notre pays possède une armée loyale et le patriotisme de ses chefs est sans faille. Assurons-nous pour la préserver de ce mal et l’éloigner des dangers de l’hypocrisie et du cynisme des partis politiques pour ne pas semer les germes de la désintégration au sein de notre chère institution militaire. La situation instable à nos frontières, si elle dure, risque de causer un état de mécontentement au sein de la population mais aussi au sein des institutions étatiques. Il est urgent de mettre en marche notre économie et ménager notre social.

* Général à la retraite.

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