Youssef Chahed est, peut-être, un homme de grand talent, mais il est issu d’un parti pourri et accepte de conduire un gouvernement hétéroclite qui va faire du sur-place.
Par Chokri Mamoghli *
On n’a pas arrêté de lire des commentaires sur Youssef Chahed. Plus désolants les uns que les autres. Tous se sont attaqués à son âge, à ses origines sociales, à ses liens de parenté, à sa formation, à sa calvitie naissante, à son poids, à la couleur de ses yeux… Je n’ai pas vu de commentaires politiques ou si peu.
Je ne connais pas du tout ce monsieur, mais toutes les informations qui remontent confirment que, sur le plan intrinsèquement personnel, c’est un homme de valeur. Un Tunisien patriote, instruit, engagé, sincère au service du pays, discret, contrairement à un Said Aidi ou à un Néji Jalloul (ministres de la Santé et de l’Education dans le gouvernement sortant, qui étaient cités comme candidats à la primature, Ndlr), ayant une formation économique assez conséquente puisqu’il a travaillé sur l’impact des démantèlements tarifaires (droits de douane) sur le bien-être.
Le seul défaut que ceux qui le connaissent lui trouvent est qu’il est trop poli, trop fils de bonne famille pour combattre les loups qui l’entourent et la mafia politico-affairiste qui a accaparé le pouvoir. Il n’en fait pas partie mais il ne saura pas la combattre.
Personnellement, mes critiques sont politiques. Youssef Chahed est issu de Nidaa. C’est-à-dire d’un parti qui a craché, uriné, piétiné un concept appelé démocratie. Un parti qui représente, malgré les grandes personnalités qui y sont encore, et tous les talents dont elles disposent, ce qu’il y a de pire en politique. Un parti qui s’est aligné totalement sur Ennahdha, qui fixe ses lignes politiques et définit son discours. On en est à «Fais ceci, ne fais pas cela!».
Bref, l’appartenance du chef du gouvernement désigné à un parti aussi pourri constitue un handicap majeur aux yeux des Tunisiens.
Youssef Chahed sera obligé de servir son parti et nous allons nous retrouver avec une pléiade de ministres qui n’auront de cesse de retourner l’ascenseur à ceux qui les ont appuyés auprès de lui. Si la grande Radhia Haddad, sa grand-mère, était vivante, elle se serait révoltée contre cette caricature de parti et l’aurait quitté comme elle a quitté le PSD de Bourguiba au faîte de sa puissance.
Youssef Chahed est supposé, également, conduire un gouvernement d’unité nationale dont les objectifs sont déjà fixés. Je ne reviendrais pas sur la banalité du document signé à Carthage. Le fait est qu’il existe. Il aura cependant à tracer les politiques et c’est là qu’il sera bloqué.
Adoptera-t-il la politique d’Al-Massar (gauche) ou celle d’Afek (droite libérale)? Procèdera-t-il à des privatisations ou étendra-t-il le périmètre public? Sera-t-il avec l’UGTT ou avec l’Utica? Avec le recul de l’âge de la retraite ou avec l’augmentation de la fiscalité frappant les entreprises? Sera-t-il avec Ennahdha ou avec les laïcs? Encouragera-t-il le retour des terroristes et leur «réinsertion» ou accentuera-t-il la répression du wahhabo-jihadisme?
Voici des exemples de lignes politiques antinomiques, contradictoires, opposées, portées par les parties prenantes qui formeront son gouvernement. Youssef Chahed sera obligé de trouver des consensus et de tomber donc dans les travers de la politique de Habib Essid. On n’est pas sortis de la politique de la «main qui tremble».
Pour toutes ces raisons, je suis contre la désignation de Youssef Chahed. Non pas pour des raisons liées à sa personne mais parce qu’il est issu d’un parti pourri et qu’il accepte de conduire un gouvernement hétéroclite qui, on l’imagine, fera du sur-place.
* Docteur en finance, enseignant à l’Université Paris-Dauphine et ancien secrétaire d’État.
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