L’abrogation de l’article 227 bis du code pénal, qui permet à un violeur d’échapper aux sanctions en épousant sa victime, est nécessaire, mais est-ce suffisant?
Par Moncef Kamoun *
Soixante ans après la promulgation du code du statut personnel, le 13 août 1956, et 21 ans après la promulgation de la loi du code de l’enfance, le 9 novembre 1995, la justice tunisienne autorise le mariage d’une fillette de 13 ans avec un proche de 21 ans qui a abusé d’elle et l’a mise enceinte.
Un viol caractérisé accepté par la justice
Notre pays est connu par être à l’avant-garde en matière de protection de la femme et de l’enfant. Il donne à la femme une place inédite dans la société tunisienne et arabo-musulmane. N’est-il pas le premier Etat au monde fondé par une femme la Reine Alyssa, le premier pays arabe à avoir interdit la polygamie en 1956, l’unique pays arabe à avoir octroyé le droit de vote aux femmes l’année de son indépendance en 1956, avant même la Suisse (1971), Monaco (1962) et le Portugal (1976)? La Tunisie est aussi le premier pays arabe à légaliser l’interruption volontaire de grossesse (IVG), en 1973, alors qu’il y a encore aujourd’hui des pays européens qui sont restrictifs en matière d’IVG, comme la Pologne, l’Irlande, Malte et Chypre.
Le tribunal de première instance du Kef s’est appuyé sur l’article 227 bis du code pénal tunisien pour ne pas sanctionner un viol et autoriser le mariage d’une enfant de 13 ans avec l’homme qui a abusé d’elle.
L’article 227 du code pénal prévoit une peine de prison de 6 ans pour toute personne ayant fait subir l’acte sexuel à un enfant de sexe féminin âgée de moins de 15 ans, mais le code ajoute, dans son article 227 bis, que le mariage du coupable avec la victime arrête toutes poursuites, alors que tout le monde sait qu’une enfant de 13 ans ne peut avoir un rapport sexuel avec consentement, il s’agit plutôt d’un viol.
Le juge du Kef a, néanmoins, trouvé le moyen de considérer que le rapport sexuel a eu lieu avec le consentement de l’enfant et que celle-ci est apte au mariage du fait qu’elle est enceinte et que ses parents consentent au mariage pour des raisons familiales et sociales.
Que prévoit le code de l’enfance?
L’article 2 du code de l’enfance garantit à l’enfant le droit de bénéficier des différentes mesures préventives à caractères social, éducatif, sanitaire et autres dispositions et procédures visant à le protéger de toute forme de violence, ou préjudice, ou atteinte physique ou psychique, ou sexuelle ou d’abandon ou de négligence qui engendrent le mauvais traitement ou l’exploitation.
L’article 4 du même code juge que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération majeure dans toutes les mesures prises à son égard par les tribunaux, les autorités administratives ou les institutions publiques ou privées de la protection sociales.
Tout cela semble avoir échappé au juge du Kef qui a préféré passer outre pour rendre son jugement sur la base de considérations familiales et sociales. A quoi sert-il d’avoir un code ou une loi si on se permet d’autoriser le viol et le mariage d’une enfant de 13 ans?
La Tunisie a le privilège d’avoir une élite intellectuelle, une population alphabétisée et de fortes assises civilisationnelles. Aussi a-t-elle toujours su, et elle saura toujours, j’en suis convaincu, mettre en place des institutions progressistes tournées vers l’avenir.
Dès sa révélation, cette affaire a provoqué des réactions voire des manifestations et une pétition a été mise en ligne appelant à l’abrogation de l’article 227 bis du code pénal.
En réaction, le procureur de la république, à la demande du ministre de la Justice, a demandé l’annulation de la décision du tribunal du Kef et, en attendant, la suspension du mariage.
De son côté, le chef du gouvernement Youssef Chahed s’est engagé à présenter un projet de loi composé d’un seul article portant amendement de l’article 227 bis du code pénal tunisien.
La démocratie a besoin d’un nouveau souffle politique. Il y a un réel décalage, aujourd’hui, entre la pratique de la politique et la façon de vivre des jeunes. En effet, la longueur des débats et le décalage entre la mise en place des politiques et l’obtention des résultats doivent être repensés afin de permettre aux jeunes de prendre part aux processus de prise des décisions qui les concernent. La modernisation de la politique est, à cet égard, une exigence essentielle. Les TICs, qui font partie du quotidien des Tunisiens et qui facilitent la connectivité, l’instantanéité, la réactivité et la participation citoyenne, devraient pouvoir contribuer à sortir de la vie politique de sa sclérose actuelle.
* Architecte.
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