Les politiques suivies par le FMI en Tunisie reflètent son incapacité à proposer des alternatives aux politiques de développement accordant la priorité à la stabilité financière aux dépens de la justice sociale et d’échanges extérieurs équitables.
Par Khémaies Krimi
L’événement a été créé, en ce début du mois d’avril 2018, par le chef de mission du Fonds monétaire international (FMI) en Tunisie, Björn Rother, qui a déclaré au site électronique américain Bloomberg que «si la Tunisie veut relancer son économie et booster ses exportations, elle doit encore accepter de déprécier sa monnaie» (le dinar) qui serait, selon le Fonds, surévaluée au taux de 10%.
Entendre par là : le FMI recommande, sans ambages, la poursuite de la dévaluation du dinar qui selon les experts, a déjà perdu, 50% de sa valeur depuis 2011 et 30% depuis avril 2017.
Le FMI se contredit
Cette déclaration sur la poursuite de la dévaluation du dinar a suscité moult interrogations en raison de sa contradiction avec des déclarations antérieures de responsables du FMI. Elle n’est pas, également, du goût d’experts économiques et financiers qui doutent de son efficacité pour une petite économie comme celle de la Tunisie.
Björn Rother.
D’abord, cette déclaration de Björn Rother contredit une autre faite, il y a, exactement, une année suite à l’effondrement du dinar au mois d’avril 2017, par un autre responsable plus gradé du FMI, en l’occurrence Jihad Azour, directeur du département Moyen Orient, Afrique du Nord et Asie centrale. Ce responsable a nié, lors d’une conférence de presse, à Washington, l’existence d’«une quelconque demande du Fonds pour que la Tunisie laisse flotter librement le dinar», ajoutant que le FMI a juste recommandé à la Tunisie une plus grande flexibilité de sa monnaie nationale pour faire face au déficit commercial et celui de la balance des paiements. «Le déficit commercial record de la Tunisie indique la nécessité d’un ajustement», a-t-il-précisé avant d’ajouter : «L’un des éléments de cet ajustement est une plus grande flexibilité du dinar surtout que les réserves de devises sont à un niveau confortable» (à l’époque). «Une correction brusque du dinar n’est pas nécessaire et nous ne l’avons pas demandée», a-t-il souligné.
Le message est, ici, des plus clairs : le FMI n’a pas recommandé un flottement du dinar lequel connaissait à l’époque, selon Jihad Azour, «une petite surévaluation d’environ 10%, et ce, conformément à des modèles standards de calcul du taux de change».
Si on croit à la lettre Jihad Azour, en principe cette surévaluation du dinar de 10% aurait été résorbée depuis le mois d’avril 2017, dans la mesure où la valeur du dinar a baissé de 30%, une année après cette date.
Les experts doutent de l’efficience de la dépréciation du dinar
Pour leur part, les experts et observateurs de l’économie tunisienne estiment que le FMI commet une lourde erreur en recommandant au gouvernement tunisien de déprécier le dinar. La réaction des experts à la déclaration de Björn Rother a été, à ce sujet, sans appel.
Globalement, ces experts considèrent que les correctifs standards prescrits, sans discernement, par le Fonds monétaire international (FMI), à des pays aux degrés de développement différents, présentent de sérieuses menaces pour la déstabilisation de certains petits pays comme la Tunisie. Deux témoignages de deux experts, un Tunisien et un Européen, méritent qu’on s’y attarde.
Le premier est apporté par l’économiste tunisien Arem Belhadj qui a qualifié cette recommandation du FMI d’«acte suicidaire pour une économie tunisienne qui n’a pas encore commencé à bâtir les jalons d’un nouveau modèle de développement ».
Il pense qu’à travers cette déclaration de Björn Rother, le FMI «montre encore une fois qu’il impose des recettes standards à des pays hétérogènes». Il a relevé que «les solutions proposées à notre pays par le FMI ne sont pas convenables, voire graves, pour l’économie et la paix sociale. Rien que pour la question du dinar, le FMI souhaite une dépréciation supplémentaire de notre monnaie pour arriver à un taux de change réel d’équilibre. Cette recommandation n’aura certainement pas l’impact déclaré, celui de l’amélioration de la compétitivité à l’export. Au contraire, elle alimentera l’inflation, alourdira la charge de la dette et plombera davantage l’économie».
Cette analyse a été relayée avec plus de force dans un article publié, il y a deux semaine jours, sur le site électronique ‘‘Bretton Wood’s projet’’ par la chercheuse européenne au réseau de coopération et de développement en Europe de l’est, Carla Kabili, qui a remis en cause l’efficience de la dépréciation du dinar et son impact sur l’impulsion des exportations tunisiennes.
La chercheuse considère que la ferme conviction du FMI qu’une monnaie dépréciée peut booster les exportations illustre une totale méconnaissance de l’économie tunisienne et occulte, particulièrement, la spécificité de la structure des échanges extérieurs du pays.
La Tunisie étant, non pas comme le propagent les officiels tunisiens un pays exportateur, mais bien un pays essentiellement importateur de biens de consommation. En témoigne le déficit courant qui avoisine les 10% du PIB (10,5 milliards de dinars environ).
Pas d’impact significatif de la dépréciation du dinar sur les exportations
En plus clair encore, la chercheuse pense que cette dépréciation du dinar souhaitée par le FMI n’aura pas d’impact significatif sur l’impulsion des exportations tunisiennes en ce sens où celles-ci pâtissent d’une faible valeur ajoutée.
Est-il besoin de rappeler ici que les prix de notre tourisme bas de gamme sont carrément bradés, que les externalités positives de nos produits de terroir exportés en vrac (huile d’olive, dattes, agrumes, fruits de mer…) sont exploitées par des étrangers et que, conformément à la loi 72, les recettes en devises des exportations des industries manufacturières off shore profitent, exclusivement, aux maisons mères… Et la liste est loin d’être finie.
Pis, la Tunisie a subi de plein fouet les conséquences désastreuses des accords de libre échange conclus aux plans bilatéral, régional et multilatéral pour une raison simple. Elle n’avait pas de produits exportables en quantité et en qualité requises.
Conséquence: ces exportations non compétitives et à faible valeur ajoutée ne rapportent pas beaucoup au pays et ne peuvent pas contribuer à son immunité.
Et la chercheuse de tirer les conclusions. Pour elle, les politiques suivies par le FMI en Tunisie reflètent une incapacité du Fonds à proposer des solutions alternatives aux politiques de développement néoclassiques qui accordent la priorité à la stabilité financière aux dépens de la justice sociale et d’échanges extérieurs équitables.
Quant à nous, nous nous pouvons que faire assumer la responsabilité de ces dérapages déstabilisateurs à nos économistes et monétaristes qui n’ont jamais su négocier avec compétence nos relations avec l’extérieur que ce soit avec les bailleurs de fonds ou avec les groupements régionaux dans le cadre des accords de libre échange.
Formatés à l’école de l’exécution et de l’obéissance, ils ne se sont souciés jamais de l’intérêt du pays et de sa population. C’est une véritable problématique à laquelle il faudrait remédier avec sérieux et surtout avec détermination. Tout un programme politique.
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