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Hammamet : Maqam Roads et Arroug explorent le patrimoine musical tunisien

(Ph: Festival de Carthage).

Pour son concert du 8 août 2018, le Festival de Hammamet a accueilli Zied Zouari et sa formation Maqam Roads ainsi que Badreddine Dridi et son groupe Arroug. Deux ensembles puisant leur inspiration dans le patrimoine musical tunisien pour en ressortir un résultat à leur image.

Par Seif-Eddine Yahia

Deux concerts, deux ambiances, une base commune : c’est ce que proposait le Festival de Hammamet avec les concerts des deux formations Maqam Roads et Arroug dirigées respectivement par Zied Zouari et par Badreddine Dridi.

Alors que le premier concert proposait un voyage reposant dans les méandres du maqam, le second offrait une mise en avant collégiale et festive du patrimoine arabo-berbère propre à la Tunisie.

Maqam Roads : un quatuor pour une réflexion musicale

Pour le premier concert de la soirée, Zied Zouari s’est présenté armé de son violon et entouré de trois musiciens de talent : Julien Tekeyan à la batterie et aux percussions, Abdurrahman Tarikci à la basse et Ghassel à la guitare électrique.

Le groupe a souhaité utiliser le maqam, style musical commun aux mondes arabe, turc, indien et même chinois, comme fil conducteur de ce concert. Au maqam, le violoniste et compositeur a ajouté des éléments issus du jazz, du stambali, du mezoued et même parfois de la pop afin de proposer une œuvre complexe et inédite.

Maqam Roads (Ph: Festival de Carthage).

Le concert a commencé par une improvisation du violoniste à mi-chemin entre un scat de jazzman et un beatbox. Après cette improvisation vocale, le public a eu droit à un très long solo du batteur Julien Tekeyan. Un solo en début de concert qui, en plus des réglages effectués pendant la performance, a peut-être ralenti le rythme du concert et conduit à ce que le public mette un peu plus de temps à entrer dans l’univers du groupe.

La formation a continué le concert avec « Tale of Krishnamurti« , une composition mixant influences tunisiennes et indiennes. Zied Zouari a d’ailleurs expliqué que la philosophie de Krishnamurti, penseur indien du XXe siècle, avait eu une grande influence sur sa philosophie, et sur sa manière d’appréhender la musique. Un son apaisant et relaxant qui s’est bien enchaîné avec les morceaux « Air from India » et « Lettre à Ikbal ».

Après 3 chansons et un solo de violon, l’ambiance a commencé à se décanter quand le groupe s’est dirigé vers le stambali et le patrimoine de Sfax et de Zarzis. Le compositeur a finalement réussi à amener le public dans son univers après un début de concert un peu poussif. Il a terminé sa prestation par « Egyptian notice« .

Le compositeur, dans son œuvre, a souhaité mixer une base tunisienne à des influences venues de plus loin. Le maqam étant un style ouvert, le groupe a pu bénéficier des influences arméniennes et turques grâce à certains de ses musiciens.

Chaque instrumentiste a pu démontrer sa virtuosité et sa sensibilité lors des longs passages en solo qui lui étaient alloués. Cependant, on avait parfois l’impression que cette mise en avant des solos masquait une petite difficulté à proposer un motif commun où chaque musicien parvient à entrer harmonieusement en communication avec les autres membres du groupe.

Arroug : aux racines afro-berbères de la musique tunisienne

Après une prestation finalement de bonne qualité malgré un début difficile, Maqam Roads a laissé sa place au groupe Arroug pour la seconde partie du spectacle.

Depuis trois ans maintenant, Badreddine Dridi et son groupe Arroug cherchent à défendre les origines afro-berbères de la musique tunisienne. En puisant dans le stambali, l’aâroubi ou la musique sahraoui, Arroug offre une démarche militante de défense d’un patrimoine musical parfois mis de côté.

Au-delà de la démarche artistique, Badreddine Dridi et son groupe proposent avant tout une expérience musicale et scénique vibrante et inclusive. Le but étant de faire comprendre au public que la musique issue de ce patrimoine laissé de côté est très proche des musiques actuelles les plus populaires en Afrique du Nord comme le Gnawa, le chaabi ou même le raï. Tout cela ayant pour objectif de redonner à cette musique une place de choix dans le paysage artistique national.

Arroug à Hammamet (Ph: Festival de Hammamet)

Sur scène, le groupe a proposé une formation de huit musiciens. Badreddine à la guitare est accompagné de son batteur et co-compositeur Mohamed Khachnaoui, d’un bassiste, d’un autre guitariste et d’un ensemble comprenant nay, gambra, wtar et mezoued.

Le concert d’Arroug a débuté par l’hymne « Ana tounsi » suivi de « Sahraoui » et de « Mazelt Bjoudi« . Des influences gnawa, une orchestration intelligente, une rythmique funky et une énergie communicative : il n’en fallait pas plus pour recevoir l’approbation du public qui est rapidement devenu acteur du concert.

Le groupe a ensuite enchaîné avec des morceaux comme »Zambala » ou « Goumari » en alternant les solos des différents instrumentistes et les morceaux chorales où chaque musicien était mis en valeur au moment adéquat.

Le concert s’est terminé de la meilleure des manières avec un public dansant et une explosion d’applaudissements pour un groupe ayant proposé un concert vivant et orchestré avec talent.

Les deux formations sur scène ce soir-là, étaient très différents dans leur manière de penser et de faire de la musique : pensée comme une invitation à la contemplation pour Maqam Roads la musique est au contraire pensée pour le mouvement selon Arroug.

Cependant, ces deux groupes puisent dans des sources communes, et c’est ce qui était peut-être le plus intéressant dans ce concert : la manière dont deux sensibilités et deux parcours musicaux différents parviennent à se réapproprier un patrimoine commun.

Badreddine Dridi et Zied Zouari représentent les deux faces d’une même pièce. Zouari a cherché à produire un spectacle axé autour de la contemplation, tandis que Dridi a cherché à créer une musique vivante et dansante. Deux méthodes qui se complètent pour un spectacle qui aura eu le double mérite de faire passer le public par plusieurs états et de faire redécouvrir des pans entiers de notre patrimoine musical.

Mise en avant du patrimoine tunisien à Hammamet

La mise en avant de ce patrimoine a constitué un des axes majeurs de ce 54e Festival de Hammamet et il est important de saluer le courage des programmateurs et de l’équipe organisatrice du festival. Par des choix audacieux et réfléchis, ce festival a réussi à montrer que des genres musicaux parfois marginalisés par le passé avaient une vraie puissance fédératrice et une qualité indéniable sur scène.

Le patrimoine musical national a été mis en avant à plusieurs reprises au cours de ce festival. Outre, le concert du 8 août, il y a aussi eu la performance remarquable de Zouheir Gouja et de son show « Yinna 2018″ en juillet. Une œuvre en trois mouvements où le compositeur revisitait les grands classiques du mezoued, du chaabi algéro-tunisien et du stambali. Pour arriver à cela, le compositeur s’était entouré d’une formation de neuf musiciens mixant instruments traditionnels et contemporains et d’un trio vocal exceptionnel afin de proposer un spectacle élégant et musicalement très riche.

Zouheir Gouja et sa formation lors du spectacle « Yinna 2018 ».

Les trois formations ont notamment cherché à mettre en avant le stambali et le mezoued mais ce qui est intéressant c’est de voir ce qu’ils en ont fait. A partir d’une base similaire, trois résultats totalement différents ont été obtenus. Zouheir Gouja, lors de son concert du 15 Juillet, avait développé un spectacle élégant mettant en avant la virtuosité de ses neuf musiciens et la pureté des trois voix l’accompagnant. Le musicien et musicologue a aussi, au cours de ce show, mis en avant la place centrale de la Tunisie dans les échanges musicaux entre les peuples en mettant en avant les influences subsahariennes, européennes et orientales existant en latence dans la musique tunisienne.

 

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