Dans son bras de fer avec le lobby des partisans de la privatisation des entreprises publiques, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui a toujours tenu cette option pour une ligne rouge à ne pas dépasser, vient de marquer deux points importants.
Par Khémaies Krimi
La centrale syndicale vient, en effet, d’arracher au chef du gouvernement Youssef Chahed l’engagement à abandonner, durant toute l’année 2019, tout projet de privatisation d’entreprise publique et à examiner, à partir de cette date, la restructuration – et non la cession – de ces entreprises, au cas par cas.
Les partisans de la privatisation discrédités
Annoncé, le 21 octobre 2018, par Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT, lors de la réunion de la commission administrative de la centrale syndicale, cet engagement, pour peu qu’il soit honoré, va décrédibiliser les ministres conseillers de Youssef Chahed, en l’occurrence Taoufik Rajhi (Grandes réformes), Ridha Saidi (Grands projets), Fayçal Derbal (Réforme fiscale).
Ces derniers ont fait flèche de tout bois, depuis leur prise de fonction, pour inscrire, dans les projets de loi de finances successifs, et particulièrement dans celui de 2019, des projets de privatisation d’entreprises publiques. Ils ont été soutenus dans cette démarche par leurs antennes dans la société civile, s’agissant du patronat (Utica et Conect), du marché financier (Bourse de Tunis), des banquiers et de tous les think-tanks ultralibéraux de la place : Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE), Centre international Hédi Nouira de prospection et d’études sur le développement, Centre d’Analyses économiques (CEA), Cercle Khereddine…
Ces dernières structures de réflexion ont été unanimes pour suggérer, dans leurs analyses, études et feuilles de route, la cession des entreprises publiques comme la panacée idéale pour renflouer les caisses de l’Etat et redresser l’économie du pays.
Parallèlement, des multinationales ont été de la partie et ont proposé parfois au gouvernement tunisien des offres alléchantes pour le rachat de certaines entreprises publiques. Selon une source syndicale, l’une d’entre elles aurait proposé 5 milliards de dinars pour le rachat de la Régie du tabac, proposition refusée net par le secrétaire général actuel Noureddine Taboubi. Ce dernier se serait même vu proposer, dit-on, des pots de vins par un intermédiaire de cette même multinationale et il s’en serait plaint directement au président de la république.
La centrale syndicale communique mieux
Le deuxième point marqué par l’UGTT est à situer sur le plan de la communication, la centrale syndicale a, en effet, mieux communiqué dans les médias sur le dossier délicat des entreprises en difficulté. Elle a ainsi chargé Samir Cheffi, son secrétaire général adjoint, d’expliquer à l’opinion publique le bien-fondé de l’approche syndicale. Et il semble y avoir réussi pour la simple raison qu’il a été beaucoup sollicité, ces temps-ci, par des chaînes de télévision et des stations radios pour expliquer, longuement, les raisons de l’opposition de l’UGTT aux privatisations.
Quand il dit, par exemple, qu’on ne peut pas demander aux entreprises publiques d’être compétitives en 2018 alors qu’elles travaillent avec des équipements obsolètes datant des années 60, et au-delà de la démagogie de cette généralisation abusive, il a toutes les chances de faire mouche.
Quand il s’emporte, aussi, contre ceux qui qualifient de «flemmards» ou d’«incompétents» les cadres et les agents des entreprises publiques, alors que ces derniers n’ont jamais bénéficié, durant toute leur carrière, de plans de perfectionnement et d’adaptation aux nouvelles techniques de management ou de production, il fait mouche aussi, car beaucoup de Tunisiens s’identifient à ces cadres et à ces agents. D’autant que ce point de vue est partagé par des universitaires indépendants évoluant dans la société civile, comme Riadh Zghal, professeure agrégée en sciences de gestion.
Intervenant, récemment, dans le cadre d’un séminaire organisé par le Forum pour une Nouvelle République (Nou-R), en partenariat avec l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), sur «la valeur du travail chez les Tunisiens», l’universitaire a tenu à rappeler que le travail n’est pas le seul levier de la productivité et elle en a cité d’autres dont «la maintenance, la bonne gouvernance, l’assurance qualité, la chasse au gaspillage, autant de leviers à actionner ensemble pour améliorer la productivité qui demeure très faible en Tunisie, soit 52% contre 80% en Finlande par exemple».
Au final, ce que propose l’UGTT pour la restructuration des entreprises publiques et, dans le cas échéant, leur privatisation c’est un débat public sur les avantages à tirer pour le pays dans l’un et l’autre cas.
En attendant d’en savoir plus sur les réelles intentions du gouvernement concernant les entreprises publiques, et surtout celles qui sont déficitaires et coûtent beaucoup aux finances publiques, la centrale syndicale gagnerait sans doute aussi beaucoup à mener une campagne auprès de ses adhérents pour les sensibiliser non seulement à leurs droits mais également et surtout à leur devoirs dans la préservation de leurs entreprises et la garantie de leur pérennité. La règle étant de faire en sorte que chaque partie mette du sien. Car une entreprise déficitaire ne pourra le rester trop longtemps…
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