Dans un article intitulé « La servitude des Tunisiennes des champs », notre consœur Marie Verdier du journal « La Croix » a publié avant-hier, 14 novembre 2019, un reportage qui dénonce les conditions précaires des ouvrières agricoles du gouvernorat de Sidi Bouzid (et sûrement celles d’autres régions) et leur rôle dans la croissance agricole du pays.
L’article prend l’exemple de la localité d’El Henia à Sidi Bouzid pour dénoncer l’exclusion de cette région dans le développement du pays, la différence de rémunération entre les hommes et les femmes, les mauvaises conditions de transport des femmes vers leur lieu de travail, l’absence de soutien de l’administration (et parfois celui des hommes), et l’exploitation sans scrupules du travail des femmes par des promoteurs et des entreprises des régions avoisinantes. A l’appui de sa dénonciation, l’auteure cite plusieurs exemples des cas évoqués.
On plante et récolte à Sidi Bouzid, et dans son voisinage, toutes sortes de fruits et légumes tout au long de l’année grâce au climat doux des régions du centre de la Tunisie, qui fournit environ 25% de la production nationale.
C’est là que le «capitalisme prédateur», selon les termes de Marie Verdier, s’est installé et où «un processus de marchandisation des terres en indivision et des incitations de l’État pour les investissements agricoles, ont favorisé l’arrivée de promoteurs et d’entreprises exportatrices qui ont acquis à bas prix une partie des terres des paysans pauvres ou endettés», explique-t-elle.
C’est là aussi que les ouvrières agricoles travaillent, parfois même jusqu’à 37 km de distance de chez elles comme à Regueb par exemple pour y cueillir des citrons, «et qui ne perçoivent en retour que 13 DT pour 8 caisses de 25 kg, soit 2 tonnes chacune. Ce qui est 22% de moins que le salaire minimum agricole garanti. Ceci sans parler de l’absence de la prime d’ancienneté et de la prime de récolte. De fait, des 13 DT reçus, il n’en reste que 10 DT: 1 DT est versé pour la collation et 3 DT pour le chauffeur qui fait la tournée à 4h du matin et entasse les ouvrières à l’arrière de son pick-up, pour qu’elles soient opérationnelles de 6h à 14h dans les champs.»
Pour toutes ces raisons, cette situation semble décourager les hommes à travailler dans les champs même si, pendant la récolte des olives, ils sont payés plus (25 DT) que les femmes (12 DT) pour le même travail effectué. Les femmes, elles, acceptent quand même de se soumettre à cette situation injuste par besoin, résignation et faute de mieux…
Certaines femmes scolarisées et même titulaires d’un diplôme avancé de l’enseignement supérieur ont tenté d’améliorer leur situation sociale sans vraiment y parvenir, faute de soutien de l’administration qui les «méprise et les marginalise», selon leurs termes, et «ne leur remet même pas les indemnités auxquelles elles ont droit pour leur habitat précaire, en cas de veuvage, ou si elles ont des enfants handicapés.»
Le journal dénonce également la «sous-traitance clandestine» assurée par le transporteur des ouvrières qui les recrute, sans se soucier de leur sécurité à l’arrière de son véhicule. Des accidents ont lieu presque régulièrement, provoquant le décès de plusieurs de ces ouvrières, sans parler des blessées tout aussi nombreuses. Quant au dédommagement…
Une loi a été adoptée pour un meilleur encadrement de ces ouvrières agricoles, mais elle ne semble pas encore être appliquée sur le terrain selon elles… C’est dire que le développement de la femme tunisienne – souvent applaudi sous d’autres cieux mal informés – a touché certaines régions côtières autour des grandes villes et dans certaines sphères, mais sûrement pas la femme rurale des régions reculées de l’arrière pays, où sa situation socio-économique est très précaire. Livrée à son propre sort, sans protection sociale, dans l’absence d’un mari chômeur, émigré, décédé ou handicapé, l’ouvrière agricole reste «une main d’oeuvre à prix cassé», comme le souligne si bien Marie Verdier …
A. M.
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