Si, un jour prochain, des vidéos en provenance de Tunisie montrent des cadavres éparpillés dans les rues sans personne pour les ramasser, il serait peu probable de compter sur les dirigeants d’Al-Karama et d’Ennahdha pour leur assurer des sépultures décentes.
Par Dr Mounir Hanablia *
Sur la scène mondiale les faits se succèdent sans discontinuer depuis la grande migration débutée il y a plus de vingt ans à partir du sud de populations fuyant la sécheresse, la guerre, la famine, la pauvreté et la maladie, qu’on a qualifiée d’émigration, vers le nord réputé opulent et sûr, et depuis les expéditions militaires que ce dernier mène au sud au nom de la guerre contre ce que l’on a nommé terrorisme, et dont les accords en cours de concrétisation entre les Etats-Unis et les Talibans démontrent désormais amplement toute la vanité, sinon l’imposture.
Mais cette année, l’ampleur des ravages causés par les incendies de la grande forêt amazonienne, et du bush australien ont rappelé la primauté de plus en plus manifeste du problème écologique mondial, et dont les différents conflits sur la scène mondiale, autant politiques qu’économiques, tendent à ne devenir que l’ un des aspects d’une lutte âpre pour le contrôle de ressources désormais comptées dans une planète en voie d’épuisement.
L’équilibre biologique nécessaire à la vie humaine est-il rompu ?
Dans un monde de ressources rares et de dysfonctionnements écologiques majeurs, la question démographique se pose désormais au diapason de celle de la croissance économique, qui paraît atteindre ses limites, en tant que paradigme du bien-être humain. Celle-ci ne cesse quantitativement de progresser, avec ce paradoxe qu’une part de plus importante de l’humanité en soit exclue, et de son corollaire, un accès de plus en plus problématique à la consommation de masse.
Ce qu’on dit donc depuis plusieurs années se confirme : la richesse globale progresse en sens inverse de sa répartition équitable, malgré l’apparition tardive des marchés chinois et indien. C’est justement en Chine, que les défis démographiques à la surpopulation surgissent depuis quelques années avec de plus en plus d’acuité par le biais du facteur biologique sous la forme de virus de plus en plus pathogènes, dont le dernier en date n’est autre que le Covid-19.
La Chine est de toute évidence un pays qui pose depuis plusieurs années un grave défi écologique à l’équilibre climatique mondial du fait de la colossale pollution qui y règne, et que la (pas si longue que cela) marche forcée de sa gigantesque population vers la consommation de masse, a rendue inévitable.
La particularité de la situation sanitaire chinoise en terme de risque de contamination est la promiscuité, d’une part des êtres humains entre eux, concentrés sur la bande côtière et le long des deux grands fleuves, d’autre part des différentes espèces animales, atteignant son paroxysme dans les marchés chinois, reflétant les habitudes alimentaires dénuées d’inhibition de la population relativement à l’origine animale variée, pour ne pas dire avariée, de sa consommation protéique.
Le fait que l’enquête épidémiologique relative à ces nouveaux virus conduise invariablement aux espèces sylvicoles de chauve-souris devrait tout autant faire réfléchir au rôle de forêts en voie de destruction dans le maintien de l’équilibre biologique nécessaire à la vie, en particulier humaine. Mais la Chine, après une absence transitoire de réaction que beaucoup lui ont d’autant plus reprochée qu’ils l’ont mise sur le compte de la nature particulièrement autoritaire de son régime politique, a néanmoins fait face grâce aux mesures et aux moyens de confinement militaires et policiers s’apparentant plus à une répression à grande échelle contre les malades et leur entourage. Mais le fait est là : selon toute vraisemblance, l’actuelle pandémie serait maîtrisée en Chine et l’incidence de la maladie serait en décroissance. Qu’en est-il dans le reste du monde ?
Les dangereuses hésitations de la Tunisie face au «cas italien»
L’Italie est ce pays dont nous sépare 120 kilomètres si l’on prend en compte la distance entre Mahdia et Lampedusa, 60 km celle entre Kélibia et Pantelleria, et 200 km entre El-Haouaria et Mazara. C’est évidemment la première destination de l’émigration clandestine, un de ses accès principaux vers l’Europe. Des liens autant culturels que sentimentaux ou économiques lient nos deux pays. Il est un encore trop tôt pour dire pourquoi le Covid-19 a frappé l’Italie sérieusement préférentiellement au reste de l’Europe. Un pays comme l’Irlande, pourtant membre tout comme l’Italie de l’Union européenne, et situé hors de l’espace méditerranéen, en plein océan atlantique, au-delà de la Grande-Bretagne, a suspendu tous les vols en provenance ou à destination de l’Italie.
En Tunisie, le gouvernement fraîchement nommé, dont on s’attendait qu’il adopte des mesures significatives immédiates, au moins pour rassurer la population, semble ne pas avoir dans un premier temps pris la pleine mesure du problème. Le nouveau chef du gouvernement a donné le ton en faisant appel au sens du sacrifice des Tunisiens… pas pour lutter contre ce qui est désormais défini comme étant une pandémie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais pour accepter le gel des salaires, ce qui situait déjà l’échelle de ses priorités.
Pourtant, René Trabelsi, l’ex-ministre du Tourisme, avait été le premier à demander, au tout début des informations se rapportant à la situation sanitaire en Italie, la suspension des liaisons aériennes et maritimes avec ce pays.
Pour le moment, et après que le président Donald Trump eût décidé de suspendre tous les vols avec l’Europe, une mesure élémentaire en ce sens se fait toujours attendre concernant le cas italien de la part de nos autorités.
Le vœu pieux du chef de l’Etat promettant la victoire sur le virus
Les vidéos en provenance de Chine envoient même un signal très négatif concernant la volonté du gouvernement tunisien de combattre réellement la pandémie alors que le personnel médical dans les hôpitaux est toujours dans une très large mesure dénué de tout moyen de protection adéquat pour faire face à une situation sanitaire exceptionnelle, que les forces de l’ordre ainsi qu’en a fait état un porte-parole du syndicat des forces de sécurité intérieure en sont totalement dépourvues pour imposer les mesures d’isolement auxquelles une population notoirement indisciplinée serait peu encline à se soumettre, et les déclarations du chef de l’Etat en ce sens, promettant la victoire contre toute épidémie, dénuées de toute portée pratique, n’ont pas été plus prises au sérieux que ne le furent les siennes se rapportant au soutien à la cause palestinienne.
Pour information, Benjamin Netanyahu, lui, notre ennemi implacable, a proposé d’établir un test simple permettant à chaque individu de savoir s’il était ou non contaminé. Mais si tant est que le chef de l’Etat, le nôtre, veuille véritablement intervenir pour le bien du pays, la première mesure qu’il pourrait prendre serait bien celle de faire supprimer les ponctions financières que les administrateurs des hôpitaux publics, prenant prétexte de repas souvent réduits à leur plus simple expression, d’usage des chambres réservées aux médecins pour se reposer pendant les gardes, et même de places de parking même pour ceux qui ne possèdent pas de voitures, opèrent systématiquement sur les salaires de ceux qui sont placés en première ligne pour combattre la maladie, à savoir les médecins de garde, particulièrement les plus jeunes parmi eux qui sont en formation.
Autrement dit, l’hôpital public, afin de renflouer des caisses vidées entre autres par le détournement institutionnalisé des malades vers les institutions privées depuis plus de 25 ans, facture depuis une période indéterminée à des médecins salariés de la santé publique leur présence dans locaux de l’hôpital pour accomplir leurs gardes, alors que la logique et le sens le plus élémentaire de la justice voudrait qu’ils fussent plutôt payés pour le faire.
Comment alors faire confiance aux informations officielles ainsi que nous invitent à le faire les médias audio-visuels, quand elles relèvent du vœu pieux ? On a invoqué la sacrosainte collaboration entre le public et le privé, à laquelle comme de bien entendu, les cliniques privées ont accepté de se soumettre au nom de l’intérêt national, mais dans les faits, outre la traduction concrète que ces établissements donneront à cette collaboration, et qui n’est pas encore avérée, elle devrait peut être commencer par imposer le respect des normes de l’hygiène, souvent défaillantes, dans les centres privés, plus encore que dans l’institution publique, contrairement à ce qui est communément admis.
La prière est-elle plus importante que la sauvegarde de la vie humaine ?
Alors que les mesures les plus élémentaires de protection communément admises à l’échelon mondial stipulent l’interdiction de tout attroupement dans les lieux publics tels que les stades et les salles de cinéma, de théâtre, de bibliothèques, les considérations idéologiques ont une nouvelle fois primé lorsque la prière dans les mosquées, en particulier celle du Vendredi, ont été maintenues, il est vrai moyennant certaines recommandations dont l’utilité demeure invérifiable.
Dans un pays soumis depuis des années à la propagande rigoriste en provenance des pays du Golfe, et quoique l’Arabie Saoudite ait récemment décrété un mémorandum sur la ômra (petit pèlerinage), les parangons de la défense de la religion, au nom d’intérêts électoralistes, considèrent comme inconcevable d’admettre que la pratique religieuse puisse contribuer à véhiculer une maladie mortelle, et estiment cette pratique elle-même plus importante que la sauvegarde de la vie humaine, puisqu’ils y voient une prérogative de la version du Seigneur telle qu’ils la vénèrent.
Des journalistes ont même été comme d’habitude impunément menacés pour avoir exprimé des positions considérées par ces partis politiques là comme hérétiques, en violation des lois censées réprimer les auteurs de ces menaces.
Dans ces conditions, de là à considérer que l’impéritie manifeste et le temps perdu pour prendre les mesures nécessaires afin de limiter l’extension de la maladie soient issus d’un choix délibéré de confier la population entre les mains du Seigneur, qui saura reconnaître les siens, ce choix aurait en tous cas l’avantage autant de libérer les finances de l’Etat de la contrainte de payer les retraites à une fraction de la population jugée inutile et qu’un ancien chef du gouvernement trouvait peu encline à mourir, que celle d’économiser des dépenses au bénéfice du service de la dette.
La pandémie actuelle par son ampleur révélerait ainsi tout autant celle de notre égoïsme, pour ne pas dire de notre malthusianisme. C’est sans doute une manière comptable de considérer les choses, mais qui risque facilement de se fracasser comme d’habitude contre le mur des dures réalités si des vidéos en provenance de Tunisie révèlent un jour des cadavres éparpillés dans les rues sans personne pour les ramasser. Il serait alors peu probable de compter sur les dirigeants d’Al-Karama et d’Ennahdha pour leur assurer des sépultures décentes. Par le biais de cette nouvelle manifestation de la colère divine, la Destinée en tous cas et comme d’habitude nous tient comptables de persister à confier nos destinées à de faux prophètes illusionnistes.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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